Critiques // Critique ・ « Antigone » de Jean Anouilh, à la Comédie Française

Critique ・ « Antigone » de Jean Anouilh, à la Comédie Française

Déc 28, 2013 | Aucun commentaire sur Critique ・ « Antigone » de Jean Anouilh, à la Comédie Française

ƒ Critique Rachelle Dhéry

 ANTIGONE

©Pacome Poirier

Antigone, fille de Jocaste et d’Oedipe, décide, malgré la loi et le Roi de Thèbes, son oncle Créon, d’enterrer son frère Polynice. Considéré comme un traître, il n’a pas droit à des funérailles et son corps doit rester pendant un mois exposé aux vautours et corbeaux, servant ainsi de symbole à la répression. Quiconque tentera de lui rendre hommage sera puni de mort. Arrêtée par des gardes obéissants et rustres, Antigone est conduite devant le roi qui tente de la sauver, malgré elle. Mais l’inflexible princesse, malgré l’amour passionnel d’Hémon, son cousin et fils de Créon, rejette avec véhémence l’apparent  bonheur que son oncle lui promet. Et le verdict tombe, déclenchant l’implacable mécanique tragique, sans que rien ni personne ne parvienne à faire fléchir Créon ou Antigone…

Déjà jouée en 2012, cette mise en scène d’Antigone est reprise jusqu’en mars 2014, dans la salle Richelieu.

Sur scène, une haute façade coulissante, pour varier les profondeurs, avec trois portes, qui s’ouvrent et se referment, quelques chaises, et c’est tout. Place a donc été faite à la sobriété. Côté costumes, on oscille entre modernité et symbolique. Antigone, très masculinisée, cheveux courts à la garçonne est en tenue salopette-chemise. Quel dommage, pour une héroïne féminine, d’être ainsi dénaturée. C’est un choix clairement revendiqué de la mise en scène, auquel il faut adhérer. Et je n’adhère pas. Créon porte un costume rappelant celui des officiers allemands, voire, par certains aspects, un parrain de la mafia. N’oublions pas qu’Antigone d’Anouilh fut écrite et jouée sous l’occupation allemande. Symbole de la résistance, la pièce a même été interdite.

Ici, Antigone, interprétée par Françoise Gillard, ressemble surtout à une adolescente sauvage et en colère, qui refuse obstinément de vivre, malgré les tentatives désespérées de son oncle Créon, interprété par Bruno Raffaelli, qui baigne dans le compromis, depuis qu’il a dit « oui » aux obligations, aux devoirs dus à son rang. Alors qu’il n’a plus le choix, qu’il est « le Roi avant la loi et pas après », sa nièce choisit de ne pas se soustraire aux absurdités des hommes et de la société. Mais surtout, ici, avant tout, elle choisit de mourir.

Mettre en scène et interpréter Antigone est un exercice périlleux. Il faut trouver à la fois assez de fragilité et de force pour lui donner corps. Antigone n’est pas une adolescente. Elle ne l’est plus. Elle a perdu son innocence lorsqu’elle a choisi de s’opposer à l’ordre établi, en suivant ce qu’elle croit être juste, même si le geste semble anodin, en recouvrant son frère de terre. Antigone n’est pas un chat sauvage, c’est une panthère. Elle ne choisit pas de mourir, elle refuse de vivre dans une société dont elle méprise les lois. Elle ne fait pas un caprice d’enfant gâtée, elle décide de faire ce qui lui semble juste et honorable, prête à en payer le prix. Par contre, Créon est parfaitement crédible, en parrain aimant sa famille mais contraint d’aller jusqu’au bout de sa logique implacable, dépassé lui-même par la force de la loi qu’il a érigée. Quitte à admettre la mort de son fils et de sa femme, il faut bien quelqu’un pour s’occuper des affaires d’état !

La mise en scène propose quelques écarts subtils, telle la scène du début, où la présentation annoncée des personnages n’est pas montrée à l’identique, comme une sorte de petite révolution, affirmation volontaire de Marc Paquien, clin d’œil à l’essence même de cette pièce. Les petits gestes peuvent provoquer les foules, renverser des lois. On pense à l’image de ce jeune homme s’avançant au devant des chars de la place Tien An Men à Pékin en 1989 ou à la « jeune fille à la fleur », photo prise par Marc Riboud à Washington, en octobre 1967, à l’occasion d’une manifestation contre la guerre du Vietnam.

Antigone
De Jean Anouilh
Mise en scène de Marc Paquien

Avec Véronique Vella, Bruno Raffaelli, Françoise Gillard, Clotilde De Bayser, Nicolas Lormeau*, Benjamin Jungers, Stéphane Varupenne*, Nâzim Boudjenah*, Marion Malenfant*, Pierre Hancisse*, Claire De la Rüe Du Can*, Laurent Codez, Carine Goron et Lucas Hérault

*en alternance
Collaboratrice artistique : Diane Scott
Scénographie : Gérard Didier
Costumes : Claire Risterucci
Lumières : Dominique Bruguière
Son : Xavier Jacquot
Maquillage : Cécile Kretschmar
Assistante à la mise en scène : Lydie Sélébran

Jusqu’au 2 mars 2014 à 20H30 – Dimanche 14h
Comédie Française – Salle Richelieu
Place Colette
75001 Paris
Métro Palais Royal – Musée du Louvre
Réservation : 01 44 58 15 15

http://www.comedie-francaise.fr/

 

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