ƒƒ Critique Camille Hazard

© Christophe Raynaud De Lage

Le « m’être » se meurt

Une maison, un maître et ses valets.

Le hall d’une vaste demeure comme un corps qui se vide, d’un être à la croisée du chemin de sa mort. Point de vue parfait, entremêlant les déambulations douloureuses d’un maître qui se refuse à mourir et son armée de fidèles servants, nichés dans chacun des recoins sombres, poussiéreux et malodorants.

En 2011, avec la complicité de Jean-Michel Ribes, la metteuse en scène Anne-Laure Liégois, découvre ce texte de Rolland Dubillard. Le spectacle s’impose alors à elle comme une évidence : pièce tortueuse, philosophique et poétique racontant la fin douloureuse d’un homme qui ne veut rien lâcher, pris dans un étau entre son besoin de se souvenir et son désir de connaitre  » l’après lui « . Une pièce tortueuse qui examine un à un les fils du pouvoir et du dévouement, les relations fusionnelles, ambigües, bâties au fil des années entre le maître et ses gens. Ce texte est une grande aventure, faite de dédales de réflexions sur les réactions humaines. C’est un texte entier qui n’hésite pas à bousculer les convenances et notre appréhension de la mort, qui bringuebale ses personnages dans le vaste vestibule du purgatoire, entre le réel et l’irréel, la fête et le cauchemar, le besoin de se sentir en vie et cette maison décrépie, bientôt morte…

Rolland Dubillard enchevêtre avec génie, les passages tragiques de notre si petite condition humaine et les moments de farces clownesques, absurdes et décadentes.

« Mes murs sont fait de regards pétrifiés.

Il y a les fissures !…

Il y a les risques d’incendie !… »

Le texte plein de sens métaphoriques, de rires, d’angoisses, est parfaitement servi par une scénographie et une mise en scène bouillonnantes de vie. Les valets, continuellement sur le qui-vive et dans l’urgence, forment un ballet absurde et désordonné au service d’un vieux maître qui ne tient pas en place. Le hall d’entrée, gigantesque, fait tout de suite penser au manoir de Citizen Kane avec ses proportions démesurées, sa poussière, ses pièces vides, son côté inquiétant et infernal. Toutes sortes d’objets viennent encombrer la scène, remplir le coffre des souvenirs. Souliers, madone, animaux empaillés, confettis, os, chapeaux pointus, enfin un bon bordel ! Mais le piège est évité, on ne tombe jamais dans la ringardise car tout fait sens dans cette mise en scène. Un bon tempo se crée dès le début du spectacle. Le sens du texte, finement exprimé, est porté par une mise en scène pleine de chair, de gouaille et qui cherche à nous perdre entre la réalité et la métaphore artistique : Les valets, habillés avec les traditionnels costumes noir et blanc, font figure de clowns avec leurs taches de poussière et de maquillage blanc sali.

Le maître apparait très clairement comme le créateur, le metteur en scène entouré de ses acteurs, l’auteur, de ses personnages qu’il n’arrive pas à laisser derrière lui… La maison en ruines devient théâtre dans lequel le vieux metteur en scène, à bout de souffle, a de plus en plus de mal à serrer les rangs, dans lequel les rapports de forces entre comédiens, les batailles d’égos, les révoltent prendront bientôt le pas sur le dévouement sans faille qu’ils prêtent au maître d’art.

Une voix-off, celle du maître, résonne et fait entendre les tréfonds de sa pensée ; de beaux moments émouvants, tenus avec délicatesse par Pierre Richard qui, dans ce spectacle, mêle aussi un peu sa vie. Les autres comédiens convainquent également avec un jeu aérien, volubile et clownesque qui fait contrepoids avec la portée du propos.

La maison d’os est un joyeux foutoir, fourmillant, plein de cotillons, de mouvements, de voix qui s’élèvent et chahutent… Un émouvant trop plein pour cacher notre propre peur du vide.

La maison d’os
De Roland Dubillard
Mise en scène Anne-Laure Liégeois
Scénographie Anne-laure Liégeois et Yves Bernard
Lumières Dominique Borrini
Son François Leymarie
Collaboration aux costumes Elisabeth Dordevic
Accessoires Arielle Chanty
Assistant à la mise en scène Mathieu Dion
Avec Sharif Andoura, Sébastien Bravard, Olivier Dutilloy, Agnès Pontier et Pierre Richard

Du 29 mars au 11 mai 2013 (tous les jours à 20h30, dimanche à 15h00, relâche lundi)

Théâtre du Rond-Point
2 bis, Avenue Franklin Roosevelt – 75008 Paris
M° Franklin D. Roosevelt ou Champs Elysées Clémenceau
Réservations au 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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