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Critique • « Scènes ouvertes à l’insolite » Parcours G (Marionnette) au Théâtre de la Cité internationale

Juin 12, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Scènes ouvertes à l’insolite » Parcours G (Marionnette) au Théâtre de la Cité internationale

Critique de Rachelle Dhéry

Tel le phénix, sous l’impulsion des politiques publiques, l’Art de la Marionnette a su renaître de ses  cendres, et depuis, grâce à des artistes talentueux et inventifs, il prend de nouvelles dimensions. Depuis sa création en 1992, le Théâtre de la Marionnette à Paris a pour enjeu de défendre et de promouvoir ce théâtre, qu’il « pense et porte comme un art exigeant, tout à la fois singulier et éclectique du point de vue des techniques : ombres, objets, images, marionnettes à gaine, à fils, symboliques, anthropomorphes ou formes abstraites ». Dans le cadre de sa mission, il organise cette 9ème édition du festival biennal, tremplin de la jeune création marionnettique, les « Scènes ouvertes à l’insolite ». Et toujours dans l’idée d’explorer le monde de la marionnette contemporaine, au-delà des frontières, il programme cette année des compagnies venues de France, des Pays-Bas, d’Israël, d’Espagne, du Québec, et d’ailleurs.

Le parcours G proposait trois spectacles « Dorp, Het Verhaal Een Uitzicht » ou « Village, l’Histoire d’un point de vue » (de la Compagnie Feikes Huis, Pays-Bas), « Traversée » (de la Compagnie d’Objet Direct, de France) et « Katastrophe » (de la Compagnie Agrupacion Senor Serrano, d’Espagne). Chacun, à leur manière, abordait des thèmes de société : la surpopulation, l’industrialisation, le génocide, les catastrophes naturelles et les guerres. Rien de très drôle en soi, et pourtant… Le rire était là, bien au rendez-vous. Un rire doux, tendre et vrai, faisant resurgir en nous l’enfant, qui, peut-être, s’était tu, écrasé par le poids du monde et de la société. Seule note de regret dans ce parcours était un manque manifeste de marionnettes. Les spectacles choisis faisaient la part belle à la manipulation d’objets, sauf pour « Traversées ».

Avec plein de malice, de fantaisie et de facéties, la joyeuse et jeune équipe de « Dorp » accueille les 30 spectateurs (et pas un de plus) dans son univers de lilliputiens. Installés en demi-cercle sur des sièges, autour d’une scène montée sur tréteaux, on nous offre un livret, dont les pages doivent être tournées, tout au long du spectacle, au signal d’un « buzz » très explicite. Des petites loupiotes dirigeables sont disposées au-dessus des spectateurs-lecteurs, pour leur plus grand confort visuel. Quand tout le monde est bien installé dans cette drôle de construction, l’histoire peut commencer. Celle d’une jeune femme qui raconte comment est né son village, comment elle-même y est née, y a grandi, et comment, peu à peu englouti par la ville et les grandes surfaces, son village a disparu. Et de maisonnettes en poupées russes, en carton, en sable, aux HLM en bétons, en passant par des forêts de brocolis, des autoroutes en tissus, en changeant d’échelle, c’est tout un monde qui se dessine devant nous. Vraiment drôle et très touchante, la comédienne, traduite par une interprète, et aidée de son « assistant passe-partout », nous entraîne avec plaisir dans cette histoire, finalement banale. C’est surtout pour l’inventivité de la scénographie, accompagnée d’une bande son adéquate et astucieuse, que nos sourires s’agrandissent et nos regards s’extasient. Comme lorsqu’ils utilisent une canne et une ampoule en rotation au-dessus des mini-maisons, pour symboliser le lever et le coucher du soleil, un pur moment de poésie. Un vrai travail d’arts plastiques et une belle performance de comédienne. « Dorp » enchante nos cœurs d’enfants.

Le second spectacle du parcours « Traversée », un « Conte migratoire pour marionnettes sur racines et chants a capella » porte bien son nom. Dans un univers bien plus sombre que les deux autres spectacles, Jeanne Sandjian, de la Compagnie d’Objet Direct, décide d’aborder le thème du génocide, en narrant la longue marche vécue par de nombreux peuples, du massacre de leur village jusqu’à la découverte d’une terre d’accueil. « Narrer » est ici peu adapté. Puisque les mots sont rares. Ce sont surtout les chants de douleur ou d’espoir qui accompagnent cette lente et périlleuse traversée. S’appuyant sur sa propre histoire et sur la « mémoire collective des migrations », Jeanne Sandjian, accompagnée par Fatima El Hassouni, nous conte le massacre d’un peuple, son déracinement, et les pertes causées par la fatigue, la faim et la soif. Seule une grue, oiseau migrateur, porteuse d’espoir, apparaît de temps en temps au-dessus de lui. Un cyclo strié en fond de scène, des petites maisonnettes en toile suspendues, comme arrachées à la terre, les manipulatrices en noir et, tout le reste, dans les tons ocres. Mais ce qui retient surtout l’attention, ce sont ces marionnettes couvertes de tissus ocre, dont les visages sont à peine dessinés, pour permettre à l’imaginaire de créer sans barrières et ces longues racines qui prolongent les corps, leur donnant une telle grandeur, une telle noblesse, une telle poésie, que leurs âmes sont presque palpables. Manipulées avec une extrême délicatesse, elles se meuvent lentement, au rythme des chants.

Le dernier du parcours, et sans doute le plus déjanté, est loin d’être une « Katastrophe », comme son nom l’indique. Plus qu’un spectacle, c’est surtout une vraie performance que nous offrent les quatre interprètes-manipulateurs déchaînés, avec des… oursons haribos. Leur « fable idiote » raconte métaphoriquement les catastrophes naturelles qui ont eu lieu au cours de notre histoire (tremblements de terre, marées noires, avalanches, éruptions volcaniques, météorites…) et les catastrophes causées par les êtres humains (guerres, exterminations, bombe atomique, le 11 septembre…). Grâce à des expériences chimiques ingénieuses et adaptées, les petits oursons, dispatchés sur trois grandes tables garnies d’objets divers et variés, d’ustensiles insolites et d’objets de « récup », vont subir de rudes épreuves : brûlés, glacés, fondus, enneigés, noyés, exterminés… Le tout est retransmis en direct sur un grand écran. Des montages vidéo effectués en direct ouvrent encore plus le champ des possibles, dans cette folle épopée. Et sans aucun mots, accomplissant, tels des dieux sans scrupules, au rythme d’une musique à la Daft Punk, leur cruel dessein, tels des grands enfants, entre malice et facéties, ils semblent s’éclater. Et malgré toute l’acidité qui se dégage de ces horreurs et de ces massacres, nous nous éclatons encore plus.

Le Théâtre de la Marionnette
« Scènes ouvertes à l’insolite », Parcours G.

Du 7 au 10 juin 2012

« Dorp, Het Verhaal Een Uitzicht »
Feikes Huis / Pays-Bas
Durée : 1 h
Théâtre, objets et maquettes
Conception : Annelies Van HullebuschAssis
Feikes Huis est une maison de production néerlandaise dédiée au théâtre d’objets et à l’art de la marionnette. Elle soutient en particulier les jeunes créateurs de son pays et défend la diversité des formes de cet art en favorisant les croisements avec d’autres disciplines.
www.feikeshuis.nl
Avec le soutien de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas.
Feikes Huis est soutenu par l’OCW,
Ministère de la culture des Pays-Bas.

« Traversées »
Compagnie d’Objet Direct / France
Durée : 45 min
Marionnettes et chants a capella
Conception : Jeanne Sandjian
Co-Mise en Scène : Mathieu Enderlin et Claire Vialon
Interprétation : Fatima El Hassouni et Jeanne Sandjian
Direction musicale : Fatima El Hassouni
Marionnettes : Jeanne Sandjian
Lumière et photographie : David Schaffer
La Compagnie d’Objet Direct a été fondée à l’initiative de Jeanne Sandjian en 2005
www.cie-objet-direct.com

« Katastrophe »
Agrupación Señor Serrano / Espagne
Durée : 1 h
Performance, vidéo et technologie interactive
Conception : Àlex Serrano et Pau Palacios
Créateurs-performers : Diego Anido, Marti Sanchez Fibla, Alex Serrano et Pau Palacios.

L’Agrupación Señor Serrano est une compagnie pour laquelle l’innovation prime. Mêlant sur scène la danse, le théâtre visuel, la vidéo et autres outils interactifs, ses spectacles se basent sur l’expérimentation et le mélange des langages.

www.srserrano.com

Théâtre de la Cité internationale
17 bd Jourdan 75014 Paris
RER : Cité universitaire
www.theatredelacite.com
Réservations : 01 43 13 50 50

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