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Critique. « Voilà Godot ! » de Minoru Betsuyaku à la maison de la culture du Japon

Déc 17, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Voilà Godot ! » de Minoru Betsuyaku à la maison de la culture du Japon

ƒƒƒ Critique Dashiell Donello

© Photos : Kazuyuki Matsumoto

Un vibrant hommage à Samuel Beckett

Godot est enfin arrivé. « Je suis Godot » dit-il à Vladimir et Estragon qui n’ont pas bougé depuis leur fameuse réplique dans En attendant Godot : « alors, on y va ? Allons-y ». Godot est devant eux et pourtant cela ne les étonne pas. Pire ! Ils sont plus préoccupés de pêcher la carotte que de parler avec cet importun. Cette attente aura-t-elle duré trop longtemps ? Car sa venue laisse indifférent tout le monde, et rien ne change…

Branle-bas de combat ! Quel est l’intrépide qui a touché à Beckett[1] ! Quoi ? Une suite ? Vite qu’on interdise les représentations ! Las ! Ce n’est pas un Français, ni un Irlandais, mais un maître Japonais de l’absurde qui a commis le crime de Lèse-Majesté. Donc plus de procès possible, l’autoritarisme littéraire à enfin trouver à qui parler : un auteur qui vit de plain-pied avec son temps, Minoru Betsuyaku. Non, Messieurs les censeurs ! Ici rien n’est blasphématoire, c’est au contraire un vibrant hommage à Samuel Beckett, n’en déplaise aux grincheux.

Bien sûr la construction de la pièce de Beckett est reprise ainsi que les personnages, mais c’est l’imagination de Minoru Betsuyaku qui a écrit une autre pièce, dans un autre temps. Suite joyeuse dans laquelle sa vision aiguisée ne laisse rien passer à la société actuelle.

Voilà Godot !  a été couronné en 2007 par le prestigieux prix Kinokuniya attribué au meilleur auteur. Révélé en 1962 pour sa pièce « L’éléphant » sur les victimes de la bombe atomique à Hiroshima, Betsuyaku a reçu aussi en 2009 le prix du journal Asahi.

Souvenons-nous ce qu’écrivait Beckett dans une lettre adressé à Michel Polac[2] en janvier 1952 : «  Vous me demandez mes idées sur « En attendant Godot » (…) Je ne sais pas plus sur cette pièce que celui arrive à la lire avec attention. (…) Je n’y suis plus et je n’y serai plus jamais. Estragon, Vladimir, Pozzo, Lucky, leur temps et leur espace, je n’ai pu les connaître un peu que de très loin du besoin de comprendre. Ils vous doivent des comptes peut-être. Qu’ils se débrouillent. Sans moi. Eux et moi nous sommes quittes ».

Oui. Les personnages survivent à leur auteur et ils ont la liberté de respirer un ailleurs théâtral. Ils sont quittes. Ils appartiennent à la littérature mondiale. Dans le théâtre de Beckett et de Betsuyaku, la même façon de douter pour être au monde : être sûr que l’on soit vu. L’un et l’autre ont connu les atrocités du génocide nazi et de la bombe atomique. C’est là que l’occident et l’orient se confondent dans le drame. Les deux visions pose la même question : Est-ce que l’homme peut survivre dans les situations les plus désespérées ? L’histoire a répondu tragiquement à cette interrogation.

Voilà Godot ! Libéré du réalisme, exprime le drame de chaque individu. Raconte l’impossibilité, si Godot arrivait aujourd’hui, de faire sa rencontre ou de vivre l’histoire de cette rencontre. C’est pourquoi la mise en scène de K. Kiyama n’est pas antinomique quand elle traite du comique de la situation dans une scénographie disposée à la manière d’un jardin zen. Les comédiens sont remarquables avec une mention spéciale à Noboru Mitani dont le jeu fait penser au kyōgen, intermède comique du nô.

« Cette pièce peut se comprendre de multiples façons. Comme elle est parsemée de pièges, en tant que metteur en scène, j’ai le sentiment de marcher sur des œufs. Je me demande souvent comment Betsuyaku souhaite qu’on esquive ces obstacles. Je crois qu’il faut éviter de donner à cette pièce un aspect sérieux et raisonné, qu’il faut lui donner du rythme et en faire surgir la beauté… » nous dit K. Kiyama. Hé bien, Voilà Godot !, est une grande réussite qui nous a comblé de beauté et d’humour, au-delà de nos espérances. Arigatō gozaimasu !

VOILÀ GODOT !

De Minoru Betsuyaku

Mise en scène K.Kiyama
Décor Mitsuru Ishii
Costume Al Higuchi
Avec Yuga Yoshino, Tsuguki Hayashi, Mitsushi Matsumoto, Taiji Kodama, Noboru Mitani, Jun Arai, Chikako Hashimoto, Ayaji Miyauchi, Mai Morio, Yuko Onabeta

Les 14 et 15 décembre à 20h
Pièce en japonais surtitré en français
Maison de la culture du Japon
101 bis, quai Branly 75015 Paris
Tél : 01 44 37 95 95
M°  Ligne 6, Bir-Hakeim RER  C, Champ de Mars – Tour Eiffel

http://mcjp.fr/francais/

 

 

 

 


[1] Samuel Beckett (1906-1989) Prix Nobel de literature en 1969 et auteur de “En attendant Godot”. Les Éditions de Minuit

[2] Michel Polac (1930-2012) Journaliste

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