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Critique. « Troïlus et Cressida » de William Shakespeare à la Comédie-Française

Jan 31, 2013 | Aucun commentaire sur Critique. « Troïlus et Cressida » de William Shakespeare à la Comédie-Française

ƒƒƒ Critique Jean-Christophe Carius

Comédie Française

 

De la dégradation des valeurs absolues

Rédigée en 1602 à la suite d’Hamlet”, “Troïlus et Cressida” est une pièce de Shakespeare souvent considérée comme une pièce à problème. Un concept critique dérivé de celui des pièces à thèses, œuvres abordant, sur un mode réaliste, des questions sociales controversées à travers l’expression de personnages aux points de vue contradictoires. Élargi rétroactivement à Shakespeare, cette terminologie souligne également la complexité et l’ambiguïté de certains de ses textes qui oscillent, sans se déterminer, entre tragédie pessimiste et comédie paillarde. Présentée à l’origine comme une pièce historique, “Troïlus et Cressida” est basée sur un épisode de la guerre de Troie, une histoire racontée au moyen-âge et populaire au début du XVIIème siècle, mais qu’on ne retrouve pas dans la mythologie grecque. Après 7 ans de guerre, le siège de Troyes par les Grecs connaît une trêve qui ressemble à un enlisement. Troïlus, un jeune fils de Priam, le roi de Troie, est tombé amoureux de Cressida, une troyenne dont le père a trahi pour rejoindre le camp ennemi. Sa passion à peine partagée, Troïlus va accepter que sa bien-aimée soit échangée contre un commandant troyen prisonnier des Grecs. À l’instar de cette histoire d’amour brutalement avortée, par tactique et par raison d’état, la pièce développe un ensemble de points de vue qui problématisent la figure d’un pouvoir enrayé par la dégradation de ses valeurs fondamentales.

Dans la belle langue d’André Markowicz, poète-traducteur, passeur inspiré de toute la variété des formes linguistiques de Shakespeare, la mise en scène de Jean-Yves Ruf offre une composition oratoire et dynamique, où de longs flambeaux discursifs et colorés se développent au gré du vent de la pensée. Multipliant les adresses au public, les personnages s’échappent du carcan de leurs contradictions mutuelles pour prendre à témoin les spectateurs et partager dans tout le volume présent, le point de vue narratif qu’ils doivent représenter. La scénographie, ample et définissante, situe alternativement deux lieux antagonistes et oppose la hauteur dense du mur qui protège, à celle élancée des chapiteaux qui assiègent. Ces deux espaces adverses partagent pourtant le même aplomb, le même sens d’une verticalité que des gradins en escaliers hiérarchisent. La scène lumineuse dessine les corps fourbus de guerriers qui se défient, comme portés par la combativité de leurs uniformes. Elle grave leurs figures arborant cuirasses archaïques et manteaux à col en pique, dans une synthèse vestimentaire des états-majors occidentaux de toujours.

Littérale et esthétique, gracieusement proférée, la mise en scène de Jean-Yves Ruf donne à entendre le verbe créateur de Shakespeare et sa modélisation poétique des errements du pouvoir. Elle délivre le constat de l’auteur qui surprend par sa précision et sa pérennité. Par l’intemporalité d’un moment de crise où une classe dirigeante, résolument masculine et patriarcale, démontre les tournures tourmentées de sa domination et recherche vainement dans son arsenal tactique les valeurs absolues qui faisaient son élan: l’honneur, l’amour, l’autorité.

 

Troïlus et Cressida
De William Shakespeare
Texte français d’André Markowicz
Mise en scène : Jean-Yves Ruf
Scénographie : Eric Ruf
Costumes : Claudia Jenatsch
Lumières : Christian Dubet
Son : Jean-Damien Ratel
Maquillages et Coiffures : Cécile Kretschmar
Assistante à la mise en scène : Anaïs de Courson
Assistante à la scénographie : Dominique Schmitt
Assistante aux maquillages : Fatira Tamoune

Avec Yves Gasc, Michel Favory, Éric Ruf, Bruno Raffaelli ou Laurent Natrella, Michel Vuillermoz, Christian Gonon, Loïc Corbery, Stéphane Varupenne, Gilles David,  Georgia Scalliet, Jérémy Lopez, Louis Arene  ou Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Akli Menni

Élèves-comédiens de la Comédie-Française : Carine Goron, Laurent Cogez, Lucas Hérault, Blaise Pettebone, Nelly Pulicani  et Maxime Taffanel

Durée : 3h05 avec entracte

Jusqu’au 05 mai 2013

Salle Richelieu de la Comédie-Française
Place Colette
Paris 1er
Métro : Palais Royal
http://www.comedie-francaise.fr

 

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