ƒƒƒ Critique Dominika Waszkiewicz

© Christophe Raynaud de Lage

« Ils se plaisent à donner. Beaucoup. Pour recevoir peu. »

Au milieu d’une salle encore bruyante et éclairée, débarque, essoufflée, superbe et en jeans, Irène Jacob. Elle nous livre, par mots et par gestes, les premières impressions de Christophe Colomb et sa description d’un peuple étonnamment naïf. Images d’un Eden. Promesses d’un Nouveau Monde. Puis, l’Histoire de l’Amérique s’accélère et les personnages défilent, apportant chacun leur tesselle narrative, entre théâtre, musique et vidéo. Des Indiens aux mafieux italiens en passant par la ségrégation raciale ou la conquête de l’Ouest, la mosaïque diaprée se construit comme autant d’éclats de vies. Le jazz, servi par les talents conjugués des musiciens (Benoît Delbecq, Steve Argüelles, Franco Mannara et David Lescot lui-même), vient catalyser l’ensemble.

Au milieu de curieuses ombres portées, une étourdissante Ghost Dance entraîne les interprètes. Entre anglais, français ou lakota, Irène Jacob se fait tour à tour narratrice, personnage, chanteuse… Les voix tonitruantes de D’ de Kabal et Mike Ladd sondent, de leurs revendications passionnées, les ocres profondeurs. Regard pétillant de malice et accent sicilien, le porte-parole de la pègre, alias Franco Mannara, parade en blazer d’argent. Et, chaude et sensuelle, sublime en somme, s’élève la complainte d’Ursuline Kairson… En un espace simple, tripartite et coupé par un écran, on assiste à une réelle cosmogonie mettant en scène au premier plan la musique et trouvant un écho visuel dans les vidéos projetées par Eric Vernhes. Pages intimes, textes officiels ou extraits filmiques résumés (connaissez-vous John McCabe?), tout se superpose pour dresser le tableau complexe d’une Amérique composite en constante mutation.

« … Est-ce que ce ne serait pas une histoire fausse ? »

En sortant de la salle, on ne sait pas trop ce que signifie le génial maelström auquel on a assisté. Difficile de retrouver une chronologie purement linéaire, ni même de traduire clairement une revendication sous-jacente. On sent simplement comme un reste de frisson finissant sa délicieuse course sur l’épiderme.

Au-delà des topoï et de l’interprétation, « Tout va bien en Amérique » nous offre un voyage sensoriel hors du commun. Plus qu’un entendement intellectuel, les informations empruntent de subtils canaux et nous proposent, par la richesse des regards croisés, une multiplicité de choix réceptifs. C’est comme si chacun pouvait prendre ce spectacle à sa guise, en totale liberté.

Entre neige et plumes, slam et gospel, Thoreau et Reznikoff, cette création inclassable et vibrante d’authenticité nous parle surtout de l’enthousiasmant renouvellement du théâtre. Boîte de Pandore d’un genre nouveau, elle nous ouvre la voie du champ des possibles…

Tout va bien en Amérique
Un essai théâtral et musical de Benoît Delbecq et David Lescot
Mise en scène: David Lescot
Direction musicale: Benoît Delbecq
Batterie: Steve Argüelles
Texte et chant: D’ de Kabal
Piano, claviers, électronique, chant et texte: Benoît Delbecq
Texte et chant: Irène Jacob
Chant gospel et texte: Ursuline Kairson
Rap, texte, claviers et électronique: Mike Ladd
Quitares, électronique, chant et texte: Franco Mannara
Cinéaste électronique: Eric Vernhes
Scénographie: Eric Vernhes
Lumières: Paul Beaureilles
Costumes: Sylvette Dequest
Assistante à la mise en scène: Linda Blanchet

Jusqu’au 06 avril 2013 à 21h

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, bd de La Chapelle, 75010 Paris
Métro : La Chapelle – Gare du Nord
Tél. : 01 46 07 34 50
E-mail : location@bouffesdunord.com

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