Critiques // Critique . The Tempest à la MC93.

Critique . The Tempest à la MC93.

Avr 11, 2013 | Aucun commentaire sur Critique . The Tempest à la MC93.

ƒƒƒ Critique Denis Sanglard

visu_04

Photos Praga © Alípio Padilha

Avis de Tempête…

Avis de tempête… Le Teatro Praga de Lisbonne s’empare de Shakespeare et de Purcell comme on part à l’abordage. Et ça tangue à l’entrepont ! La Tempête n’est qu’un prétexte, un faux nez. D’emblée vous est annoncé que le spectacle a déjà eu lieu. « Épilogue » s’affiche en grand et la question nous est posée de suite, pas même encore installés dans nos sièges : « Vous avez aimé ? » . Mieux même – et là le chroniqueur ne peut pas les remercier – la critique est énoncée et, de fait, désamorcée. Alors quoi ? Alors, pendant deux heures un metteur en scène, Prospero, pertinent avatar du personnage éponyme, peu satisfait du résultat va tenter de refaire la fin. C’est cette fin sans cesse recommencée, remise en question à laquelle nous assistons. Cette mise en scène magistrale, c’est un chantier permanent, ouvert, un théâtre en train de se faire là, devant nous. Prospero, aidé de quatre Ariel, pas moins, c’est une tempête sous un crâne. Faire et défaire, refaire sans jamais être satisfait. À peine le mot fin s’affichant qu’il faut recommencer autre chose, autrement.

Cette mise en abyme c’est une profession de foi, une déclaration d’amour à la création, au théâtre. Usant avec malice des artifices propres au théâtre, exploitant à vue la machinerie du plateau sur lequel est échouée une cage immense, faisant appel aux arts visuels, aux trucages même les plus simples, à la vidéo, à la musique, cette compagnie démultiplie les possibles en direct. Jusqu’à puiser l’inspiration sur le net qu’elle détourne férocement ou pire encore dans les soap opéra ouvertement dynamités. Cela tient également parfois du bricolage joyeusement dénoncé et crânement assumé. C’est fait de bric et de broc, de pas grand-chose en fait et c’est du grand art. Qui aurait imaginé  cette Tempête simplement représentée par de l’aspirine se dissolvant dans un verre d’eau ? Tempête dans un verre d’eau, c’est un peu ça, oui. Par ce que l’essentiel est ailleurs. Pour le Teatro Praga c’est le processus créatif qui prime là plus que la création en elle-même. Qu’importe si la pièce aura lieu. Le théâtre est à réinventer encore et encore.

La vidéo traque les comédiens jusqu’aux moindres recoins du plateau. Il n’y a pour eux aucun échappatoire. Et quand ils ne sont pas en coulisses (à vue, comme tout le reste) : ils sont en cage. Tout un symbole… Il y a du Castorf là-dessous, comme un clin d’œil. Tout cela est mouliné de main de maître. Le désordre n’est qu’apparent. Illusions toujours. C’est d’une grande maîtrise. La tempête c’est à chaque instant. Dans cette recherche, jamais satisfaite, de la perfection, dans cette frustration permanente, tout semble au bord de chavirer. Il y a une énergie folle pour se maintenir à flot, ne pas couler. Les comédiens et les chanteurs sont formidables qui à l’unisson se démultiplient, cédant aux caprices d’un Prospero caractériel. Bel hommage aussi rendu à leur art. Ce qui n’empêche pas une autodérision permanente. Ils ne s’épargnent guère, prêts à tout pour satisfaire au metteur en scène jusqu’à faire le poirier une épée entre les dents en récitant Shakespeare. Car le texte subsiste, ça et là, par bribes, englobé dans des considérations bien plus triviales. Une façon de replacer l’œuvre dans son contexte purement théâtral et fictionnel au regard d’une réalité tout aussi fictive. Mise en abyme toujours.

L’opéra, The Tempest or the Enchanted Island, inspiré de Shakespeare, n’est pas plaqué mais véritablement intégré dans ce processus, ce « work in progress ». Et Purcell est chanté de façon magistrale sur des arrangements électroniques de Xinobi et Moulinex (sic). Ironie de l’histoire : cet opéra semble ne pas avoir été terminé. Maligne idée de l’avoir intégré, lui offrant ainsi un achèvement. Cette création, qui semblait ne pas avoir de fin, s’achève dans la mélancolie d’un Prospero se retirant…Tout a une fin, hélas ! La prochaine création devrait être le Roi Lear . Nous n’avions que trois jours pour découvrir ce collectif déjà venu à a MC93 en 2012 avec Le Songe d’une Nuit d’Eté. Espérons qu’ils puissent s’implanter davantage. Il serait dommage de rater ce collectif si singulier et si imaginatif.

The Tempest
Spectacle musical de Teatro Praga
D’après The Tempest or the Enchanted Island de Henry Purcell
& The Tempest de William Shakespeare
Texte et direction Pedro Penim, André E. Teodosio, José Maria Vieira Mendes
Musique composée et jouée par Xinobi et Moulinex
Avec Joana Barrios, Diogo Bento, Andre Godinho, Claudia Jardim, Diogo Lopes, Patricia Da Silva, André E. Teodosio, Vicente Trindade, Daniel Worm D’Assumpçao
Direction vocale Rui Baeta
Soliste Rui Baeta, Sandra Medeiros
Chœur Ana Margarida Encarnaçao, Cristina Repas, Joao Francisco
Vidéo André Godinho
Scénographie Barbara Falçao Fernandes
Lumières Daniel Worm D’Assumpçao
Chorégraphie Vicente Trindade
Artistes invités Vasco Araujo, Catarina Campino, Javier Nunez Gasco, Joao Pedro vale
Equipe Vidéo Joana Frazao, Salomé Lamas
Perchiste  Nuno Morao
Son  Jorge Imperial
Assistant lumières Marta Fonseca

Du 5 au 7 avril
MC93 Bobigny
9 bd lénine 93000 Bobigny
Métro : Bobigny Picasso
Réservations 01 41 60 72 72
www.MC93.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.