Sept 16, 2012
Critique de Suzanne Teïbi
La tentation de la série
Les séries sont omniprésentes, depuis quelques années. Elles ont opéré une mutation à la télévision – où elles ont petit à petit remplacé les films – mais aussi sur internet, avec la multiplication de nouveaux formats, diversifiant les genres, et touchant des publics très variés.
Et les spécialistes de mettre les séries en débat, et d’entériner le fait que celles-ci accèdent à une maîtrise quasi cinématographique, et qu’elles agissent en véritable révélateur de notre besoin d’inventer de nouvelles formes de récit, adaptées à l’évolution de nos modes de vie.
A son tour, le théâtre n’échappe pas à la tentation de la série.
Est-ce une manière de s’inscrire dans son époque ? De concurrencer la télé qui, déjà, tentait de concurrencer le cinéma ?
Est-ce un nouveau défi pour le théâtre ?
L’écriture de SODA (Soyons Oublieux des Désirs d’Autrui) a été entamée en 2007. Vaste chantier de cinq années d’écriture, pour pas moins de 3 auteurs, 4 musiciens, 19 personnages et 14 comédiens, la saison 1 se déploie sur 8 épisodes et environ 10 heures de spectacle, au cours desquelles le spectateur suit le parcours de deux femmes, aux vies très différentes, et qui tombent enceinte au même moment.
8 épisodes, 8 mois : on suivra donc la grossesse, mois par mois, de Leïla, télé-opératrice sur la plateforme d’assistance d’une quelconque assurance voyages, et de Catherine, fraîchement nommée Secrétaire d’Etat, tandis que, dehors, le virus du Mal rose frappe de plus en plus de femmes enceintes, causant de plus en plus de fausses couches.
Dans ce contexte de panique générale dans la ville, le spectateur rentre dans l’intimité de ces deux histoires parallèles, deux femmes qui se croisent pour des raisons d’argent, et dont les vies se mêlent intimement.
Plus la série avance, et plus l’on comprend la complexité de ce projet, véritable constellation de personnages, tout aussi importants les uns que les autres, où chacun prend sa place dans le monde.
Conseillère en communication, infirmière débordée, mari infidèle, amant infidèle, grand-mère raciste, père mort ou à moitié mort, arbre de la forêt : tous ont la parole, et tous un rôle déterminant à jouer dans cette saga sociale et philosophique.
Ici, le théâtre utilise clairement les procédés de la série télévisée – générique, intrigues principales et secondaires, épisodes – pour mieux se les approprier, en jouer parfois, sans jamais s’en moquer.
Sur le plateau, l’orchestre, en plus de permettre au générique de la série de marquer le début de chaque épisode, donne à chaque personnage sa minute de gloire, en solo ou en duo, et prend efficacement le relais des scènes dialoguées.
A travers ces deux parcours de vie, et sur fond de mémoire omniprésente de la guerre d’Algérie, qui rôde autour de SODA comme les morts rôdent autour des vivants, se tisse tout un monde traversé par les histoires intimes, les secrets de famille, les questions existentielles, et la question de la filiation.
Retour vers la forêt
Devant chacun, pour des raisons différentes, se rendre dans la forêt – que les auteurs situent en bordure des alentours de Paris – les personnages font des allers et retours entre la ville et la forêt, d’abord occasionnellement, puis de plus en plus régulièrement, jusqu’à un véritable mouvement de plongée vers la forêt.
La scénographie nous laisse alors penser, avec ses branches d’arbre qui partent du plafond pour plonger leur extrémité vers le plateau, que la forêt serait l’envers de la vie quotidienne, comme si deux mondes parallèles s’imbriquaient l’un dans l’autre, et comme si les morts et les vivants avaient toujours coexisté, coexistaient toujours.
Assister à l’intégrale de SODA est une expérience en soi – 10 heures de spectacle, d’où l’on sort heureux d’avoir vécu ce spectacle dans la durée et ensemble – public, musiciens et comédiens – en une assemblée unique et mouvante.
Ensemble, nous aurons parcouru, épisode après épisode, un chemin et une réflexion profonde sur la vie, par le biais d’une série drôle, loufoque, tantôt grave, tantôt iconoclaste.
Ensemble nous aurons attentivement écouté les vivants et les morts.
Ensemble, nous nous serons posé la question de la temporalité, dans ce qu’elle a de plus vertigineux.
Le pari est réussi : d’un épisode à l’autre, tout comme dans une série, une véritable envie de continuer à accompagner ces personnages nous fait rester, jusqu’à assister au dernier épisode, et à la fin de la saison 1.
A quand la saison 2 ?
SODA (Soyons Oublieux des Désirs d’Autrui)
de Nicolas Kerszenbaum, Denis Baronnet et Ismaël Jude
Compagnie Franchement, tu
Mise en scène Nicolas Kerszenbaum
Scénographie : Thibaut Fack
Régie générale : Esther Silber
Régie lumière : Sarah Gouze
Composition et arrangement des songs : Denis Baronnet, Jérôme Castel, Benoît Prisset, Ronan Yvon
Paroles des chansons : Denis Baronnet, Nicolas KerszenbaumAvec : Bertrand Barré, Magali Caillol, Françoise Cousin, Elsa Hourcade, Isabel Juanpera, Catherine Morlot, Clotilde Moynot, Céline Pérot, Laurent Charpentier, Cyrille Labbé, Ludovic Pouzerate, Xavier Tchili, Jean-Baptiste Verquin, Clément Victor
Du 14 au 16 septembre 2012 au Théâtre Gérard Philipe
Vendredi 14 septembre à 19h30 (épisodes 1, 2, 3)
Samedi 15 septembre à 18h (épisodes 4, 5, 6)
Dimanche 16 septembre à 12h (intégrale)
Theâtre Gérard Philipe – 59 boulevard Jules Guesde 93200 Saint-Denis
Métro Saint-Denis BasiliqueDu 16 au 20 octobre dans le cadre du Festival Arts et Avenir
Mardi 16 octobre 19h30 (épisodes 1, 2, 3) à Nogent-sur-Oise
Jeudi 18 octobre à 19h30 (épisodes 4, 5, 6) à Montataire
Samedi 20 octobre à 12h (intégrale) à la Faïencerie de Creil
La Faïencerie Théâtre – Allée Nelson 60100 Creil
www.faiencerie-theatre.comDu 1er au 9 juin au Théâtre de l’Aquarium
Samedi 1er juin, dimanche 2 juin, samedi 8 juin, dimanche 9 juin 2012 de 12h à 23h – Intégrales en 3 parties
à 12h: épisodes 1, 2, 3
à 15h45: épisodes 4, 5, 6
à 20h30: épisodes 7, 8Théâtre de l’Aquarium
La Cartoucherie – Route du Champ de Manoeuvre 75012 Paris
Métro Château de Vincennes, puis navette du théâtre