ƒƒ Critique Suzanne TEIBI

Réel et fiction

Tout tend à brouiller les pistes entre réel et fiction, dans S Druge Strane (de l’autre côté). Ces quatre personnages, assis sur leur canapé avant l’entrée du public, nous regardent pendant de longues minutes. Le temps s’étire avant que le spectacle ne commence.  Puis ça y est, on le sent, l’un des comédiens va parler. Mais un message en voix off interrompt sa tentative. Le spectacle n’est pas tout à fait commencé. Bien sûr qu’il l’est, depuis le début, mais tout tend à nous faire croire que pas encore. Le jeune homme essaie de nouveau. Il parle d’une femme. Petit à petit, une histoire se raconte. Les quatre personnages veulent parler de cette femme. Cette absente, la même : une voisine, une mère, une amie. Chacun veut raconter son rapport à cette femme, et chacun se raconte à travers cette histoire, finalement. La lumière reste allumée dans la salle, côté public, pendant toute la durée de la représentation. Le frottement entre réel et fiction va jusqu’à contaminer le dispositif technique de la représentation. Des accidents arrivent sur le plateau. Quelque chose déraille, tout à coup. Si le spectateur devine que tout est prévu pour faire théâtre, il est tout de même surpris. Le doute s’installe.

Sur le fil

C’est que Nataša Rajković et Bobo Jelčić, auteurs et metteurs en scène croates, écrivent au plateau. A partir de situations quotidiennes, à partir de conversations avec les comédiens, ils débusquent ensemble ce qui fait théâtre, tant sur le plateau que dans la vie. C’est cette théâtralité qui est l’objet même de S Druge Strane. Ensuite ils créent un montage élaboré d’après des conversations, l’expérience et la vie des comédiens, et les propositions qu’ils font au plateau. C’est par ce biais – un pont sans cesse établi entre le théâtre et la vie – qu’émergent sur scène des thématiques du quotidien. En résulte un théâtre très drôle, sur le fil, acerbe et dérangeant, qui permet d’explorer en filigrane, au cœur des scènes du quotidien, des sujets très sensibles comme la mort de la mère, ou la complexité du rapport mère-fils. Finalement, l’expérience de spectateur est réjouissante, mais le dispositif dramaturgique, très séduisant au début, s’épuise sur la durée, malgré sa très grande maîtrise par les comédiens. Car cette proposition suppose un jeu au rythme souvent hyper-réaliste, et que le quotidien est fait aussi de petits riens, de silence et d’ennui.

S Druge Strane (de l’autre côté)
Spectacle en croate surtitré en français
De Nataša Rajković et Bobo Jelčić
Traduction en français : Gérard Adam
Adaptation : Delila Dizdarević-Barthien
Opérateur : David Cip
Technicien : Sébastien Marrey
Avec : Nikša Butijer, Jadranka Ðokić, Ksenija Marinkovic, Krešimir Mikić
Jusqu’auau 20 Décembre 2012
Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30
La Colline – Théâtre national
15, rue Malte-Brun – 75020 Paris
Métro Gambetta
Réservation : 01 44 62 52 52
http://www.colline.fr/

 

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