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Critique • Rituel pour une métamorphose, de Saadallah Wannous

Mai 27, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • Rituel pour une métamorphose, de Saadallah Wannous

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©  Cosimo Mirco Magliocca

Rituel pour une métamorphose [1](1994) est la dernière pièce de Saadallah Wannous (1941-1997), journaliste et grand dramaturge Syrien. En cette année anniversaire, la 333ème, la Comédie Française nous offre une entrée de choc au répertoire.

Dans la ghouta[2] de Damas, à l’ombre d’un jardin, un repas de grillades est servi au son du luth. L’ambiance bacchanale chuchote les soupirs épicuriens ; et enlace les corps fardés d’or et de strass. Abdallah, le prévôt des notables, enivré de désir et d’alcool, se livre au jeu d’un strip-tease animé par la courtisane Warda.  Mais très vite, les coussins de paradis vont se métamorphoser en menottes du délit. Izzat bey, le chef de la police, fait irruption dans cette débauche. Celui qui se cache derrière ce guet-apens, n’est autre que le Mufti de Damas ; assoiffé de pouvoir. L’effroi peut se lire sur les visages interdits de Warda et d’Abdallah.

Izzat bey a tout vu des plaisirs et de l’adultère dans ce déchet qu’est devenu le prévôt Abdallah. La gravité du mal trône sur la tête de Warna, l’emblème des notables ; le turban vert. Le Mufti – afin de cacher une vérité scandaleuse, et d’agir à sa guise avec cette vérité – ne se satisfait pas de ce coup de force. Il met au secret le chef de la police, témoin gênant, et demande à Mou’mina, la femme du prévôt, de se substituer en cachette à la courtisane emprisonnée. Mou’mina accepte à la condition d’être répudié par son mari. Cette action précipitera le destin des notables, vers le chaos et la perdition.

La métamorphose des interdits en vérité

Rituel pour une métamorphose est une allégorie qui contrecarre les certitudes religieuses, les systèmes sociaux et la prédominance de l’homme dans la société Syrienne. Mou’mina incarne le symbole des notables. Almâssa, métamorphosée en courtisane, symbolise la révolte. Répudiée elle trouve sa liberté et une vie nouvelle.  C’est un acte politique qui se joue dans le théâtre de Saadallah Wannous, une exhortation à la paix. Un espoir nouveau qui se chante dans son œuvre : la métamorphose des interdits en vérité. Ce conte tragique anticipe, près de 20 ans à l’avance, tous les printemps Arabe et l’actualité barbare de la Syrie de ce XXIème siècle.

La mise en scène de Sulayman Al-Bassam s’appuie sur une scénographie (Sam Collins) représentant le symbole de l’ordre établi. Les murs font entendre les crimes du passé, et voir les ombres du destin qui grandissent jusqu’à éclater, pour laisser apparaître l’espace mental de la métamorphose entre conte et réalité. Mais contrairement à ce que dit le metteur en scène, on n’est pas confronté à l’idée que contient le titre de la pièce : la métamorphose d’une société par l’égarement érotique des notables. On assiste plutôt à un spectacle qui, par son côté baroque, nous égare de  l’idéalisme révolutionnaire qui pourtant jaillit résolument de l’œuvre. Cette réserve ne doit pas nous éloigner de la Comédie française, au contraire. Nous sommes reconnaissant à cette grande maison d’avoir mis à l’honneur Saadallah Wannous. Il faut venir entendre ce texte magnifique bien défendu par la troupe du Français.

Denis Podalydès (Adballah et Cheik Muhammad), Thierry Hancisse (le Mufti), Julie Sicard (Mou’mina et Almâssa) et Sylvia Berger (Warda)  bornent avec brio, les étapes de la tragédie. La perdition, la délivrance, et la liberté. Ils sont moteurs du drame, mais – là est notre point critique – le traitement de Sulayman Al-Bassam détourne les comédiens vers la comédie plutôt que la tragédie, et c’est ce que l’on peut regretter pour le sens de la pièce, à savoir : la métamorphose des mentalités individuelles pour que vive une  société juste, éclairée et altruiste.

Rituel pour une métamorphose
De Saadallah Wannous.
Mise en scène et version scénique : Sulayman Al-Bassam

Avec Thierry Hancisse, Sylvia Bergé, Denis Podalydès, Laurent Natrella, Julie Sicard, Hervé Pierre, Bakary Sangaré, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Marion Malenfant, Louis Arene

Traduction et Collaboration à la version scénique : Rania Samara
Assistantes à la mise en scène : Stéphanie Leclercq et Cécile Falcon
Dramaturgie : Georgina Van Welie
Scénographie : Sam Collins
Costumes : Virginie Gervaise
Lumières : Marcus Doshi
Musique Originale, composée et interprétée : Yasmine Hamdan
Maquillages et Coiffures : Cécile Kretschmar
Assistante aux maquillages : Laurence Aué
Chorégraphie : I COULD NEVER BE A DANCER
Durée : 2 h 15 sans entracte

Jusqu’au 11 juillet 2013

Comédie-Française (Salle Richelieu)
Place Colette
75001 Paris
Tél : 0825-10-16-80
Métro : Palais Royal

http://www.comedie-francaise.fr

 

 

 


[1] Le texte de la pièce est publié aux éditions Actes Sud-Papiers

 

[2] Mot arabe signifiant oasis

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