Critique Denis Sanglard
© phedre_2295_brigitteEnguerand
Une scénographie qui louche furieusement sur la mise en scène d’Electre de Sophocle par Vitez et Yannis Kokkos
Phèdre de Racine mise en scène par Michael Marmarinos au Français procède de l’outrage et du plagiat. Outrage de monter cette tragédie, une des plus emblématiques avec Bérénice, comme un drame bourgeois. Le souffle tragique, la respiration même de cette tragédie, est mis à plat. Etouffé par une trivialité volontaire, affirmée, qui finit par tout plomber et surtout génère un ennui abyssal. Les personnages en sont falots, pris dans un jeu quasi monocorde sous couvert de confidences où quelques éclats de voix ne suffisent guère à captiver l’intérêt.
Surtout la mise en scène qui voulait ancrer la pièce dans une réalité et non un réalisme (sic) multiplie les effets toc et inutiles. Une radio en continu qui finit par parasiter la parole proférée, un micro sur pied incongru déposé là et qui ne sert de rien sauf, de temps à autre et on se demande bien pourquoi, de tout à l’avenant.
Surtout la scénographie qui louche furieusement sur la mise en scène d’Electre de Sophocle par Vitez et Yannis Kokkos. Ce qui aurait pu être un hommage relève du plagiat. On recycle souvent au théâtre mais l’art du recyclage n’est pas dans le copié-collé. Décors quasi identiques : trois portes ouvertes sur un port, le lit, la table où la carafe d’eau remplace la tasse à café, la radio, cette volonté de mélange de sacré, de tragique, et de trivial… Mais, là où Vitez produisait du sens en inscrivant Electre dans une lecture politique contemporaine et intelligente, ici cela ne produit rien.
Que du vide et un désolant contre-sens. Le tragique disparait sous un réalisme pesant. C’est comme si Michael Marmarinos avait tenté de plaquer un modèle. Mais là où cela fonctionnait dans la tragédie de Sophocle, à la portée plus générale, universelle, cela ne peut visiblement guère fonctionner avec la tragédie française. On ne peut impunément glisser un propos et un traitement identiques sur deux pièces aussi différentes. En tous les cas avec Phèdre où le propos est plus limité. Ce n’est pas être réactionnaire que de voir combien cette volonté de « réalité » absolue en arrive au ridicule. Pour exemple Panope qui, mangeant tranquillement un yaourt, annonce l’arrivée de Thésée entre deux bouchées. Ou, toujours la même Panope, interrompant sa seconde réplique pour augmenter le volume du poste, chanter et de reprendre sa réplique là où elle l’avait laissée… Il est vrai que le rôle est court, peut-être fallait-il l’étoffer. C’est, au choix, gonflé ou stupide. L’interprétation de Cécile Brune, impavide, semble accréditer qu’elle-même n’y croit pas.
Les acteurs sont justement pris en étau entre un jeu réaliste étouffant la scansion du vers, sa juste respiration qui amène aux sentiments (et c’est toute la force du vers racinien) et quelques bribes de solennité trahies par un geste qui rappelle leur condition réelle. Mais ces gestes-là, récurrents, sont artificiels. Un doigt levé ne fait plus apparaître un dieu. Cela fait mauvais théâtre, comme un lambeau de jeu ancien qui tenterait également d’inscrire cette tragédie dans une intemporalité ou une histoire que surligne à traits bien épais la mise en scène. Les comédiens semblent ronger leur frein, égarés dans une dramaturgie qui ne correspond en rien à ce qui est proféré… Ils sont comme rapetissés, étriqués, passés au rabot.
N’oublions pas que la tragédie française est l’art de la parole, une parole signifiante, un poème dramatique qui exige une ampleur ne voulant pas dire emphase. Certes il est loin le temps de Marie Bell. Mais des tragédiennes comme Martine Chevalier, Nada Strancar ou encore la regrettée Christine Fersen démontrent que la déclamation tragique n’est en aucun cas synonyme de ringardise ou de force, mais bien une question d’ampleur, de souffle et osons le mot, de tempérament. La confidence, le murmure aussi, sont dans la scansion. Les fureurs d’Hermione jouée par madame Segond-Weber étaient d’un calme absolu. (Et pourtant « On aurait entendu tomber les colonnes. » dit Michel Bouquet). Dans cette Phèdre-là, qui se veut avant tout dans la confidence, ils sont comme en porte-à-faux, coincés entre une exigence scénique et un jeu dramatique à contre-sens de l’œuvre étouffant toute velléité tragique. Puisqu’il faut jouer réaliste, Oenone (Clotilde de Bayser) tient plus de madame Lepic que de la nourrice de Phèdre.
Même les corps sont étrangement absents : ils oscillent entre courses frénétiques, petits pas de côté et placidité manifeste.
Tout, encore une fois, semble artificiel, respire la volonté affirmée d’une mise en scène et s’en ressent. Il y a des tentatives qui ne vont jamais au bout et une mise en scène dont on voit les coutures de partout, les emprunts et les références évidents. Une mise en scène qui tient plus de l’égotisme que de l’abnégation à l’œuvre. Même si on n’en demandait pas tant.
PHEDRE
De Jean Racine
Mise en scène de Michael Marmarinos
Avec :
Cecile Brune, Panope
Eric Génovèse, Théramène
Clotilde de Bayser, Oenone
Elsa Lepoivre, Phèdre
Pierre Niney, Hippolyte ( en alternance)
Jennifer Decker, Aricie
Samuel Labarthes, Thésée
Benjamin Lavernhe, Hippolyte (en alternance)
Emilie Prevosteau, IsmèneScénographie, Lili Pézanou
Costumes, Virginie Merlin
Musique originale et réalisation sonore, Dimitris Kamarotos
Lumières, Pascal Noël
Assistante à la mise en scène, Alexandra Pavlidou
Collaboratrice artistique et interprète, Myrto Katsiki
Images du spectacle filmées par Nikos Pastras
Musique en registrée par le quatuor ENEAEn alternance du 2 mars au 26 juin 20h30
Matinée 14h30Comédie Française
Salle Richelieu
Place Colette, Paris 1er
Bus 21, 27, 39, 48, 67, 68, 69, 81, 95
Métros Palais-Royal Musée du Louvre, Pyramides
Parkings Carrousel du Louvre, Pyramides, Petits-Champs
Réservations: 0825 10 16 80
www.comedie-francaise.fr