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Critique • « Moi j’utilise la lumière comme source d’excitation de la matière » D.Lescot / Projet Binôme

Jan 17, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Moi j’utilise la lumière comme source d’excitation de la matière » D.Lescot / Projet Binôme

Critique de Hugue Bernard

Dans le cadre du projet Binôme, et au sein du festival « La science se livre », à Puteaux, le samedi 28 janvier 2012, au Palais de la culture de Puteaux, à 15 et 18h : Moi j’utilise la lumière comme source d’excitation de la matière, pièce écrite par David Lescot après sa rencontre avec Valia Voliotis, chercheuse en nanosciences, et Tropopause, de Christian Siméon à partir de sa rencontre avec Ronan James, climatologue.

Critique du projet Binôme en général et de Moi j’utilise la lumière comme source d’excitation de la matière de David Lescot, en particulier.

[Pièce vue le jeudi 3 mars 2011 à La Cité des Sciences et de l’Industrie, la Villette (alors gratuit)]
Le projet Binôme, c’est « cinq lectures jouées, nées de la rencontre entre des scientifiques et des auteurs du théâtre contemporain qu’a priori rien ne rapprochait, sauf l’idée et l’envie de faire naître le dialogue entre ces deux univers ». Conçues pour Avignon, en 2010, ces rencontres sont remises à l’honneur à la Cité des Sciences et de l’Industrie, en mars 2011. Une semaine donc, pour (re)découvrir un projet ambitieux : donner envie aux gens de s’intéresser à la recherche scientifique et faire sortir pour un temps la création artistique de son champ bien carré. L’idée est alléchante, la science peinant à sortir de ses laboratoires et salles de colloques tandis que l’expression dramatique pâtit de n’exister que dans un monde capitonné où ne s’entend guère que sa propre voix. En organisant la rencontre officielle de deux représentants de deux branches distinctes de l’esprit, en créant les conditions de la rencontre improbable, l’intention est de provoquer une émanation extraordinaire, de l’ordre de celles produites par la rencontre fortuite, sur une table de dissection, d’un parapluie et d’une machine à coudre…

Le principe est simple : un scientifique a cinquante minutes pour expliquer à un auteur en quoi consistent ses recherches. Celui-ci dispose ensuite de quelques mois pour tirer de cette brève rencontre la matière d’un texte de théâtre. Lequel texte est donné à entendre au public par une lecture jouée avec trois comédiens.

C’est ainsi que David Lescot, auteur associé au Théâtre de la Ville, à peu près aussi à l’aise en physique qu’un poisson rouge avec une fourchette, a rencontré Valia Voliotis, chercheuse en Nanosciences, dont on retiendra non sans peine qu’elle étudie les propriétés des semi-conducteurs à l’échelle nanométrique, en « utilisant la lumière comme source d’excitation de la matière ». Formidable expression dont on soupçonne immédiatement le potentiel poético-érotique et qu’on se plait à imaginer dans la bouche de l’auteur…

Hélas, à l’écoute du résultat, on a peine à se souvenir des intentions initiales du projet. Le binôme s’ouvre par une laborieuse vidéo de la rencontre des deux protagonistes. Mis à part une réalisation et un montage déplorables, ce document témoigne effectivement d’un moment surprenant, la confrontation de deux mondes que tout oppose, dans lequel un David Lescot joue la comédie de l’ignare congénital tandis qu’une étonnante Valia Voliotis nous raconte avec un sourire désarmant sa vie plongée dans la froide obscurité de gaz à l’état liquide trouée par les faisceaux lasers de quelque appareil de mesure….

On en restera là. Il n’y aura rien de plus. Le texte de Lescot se contente de retranscrire sur un mode érotico-humoristique cette improbable rencontre, et l’on se dit effectivement que les deux mondes étaient bien imperméables l’un à l’autre. De ce qui suscitait notre désir, l’interpellation de la science et de l’art, de leur télescopage à la fécondité prometteuse, il n’apparaît pas l’ombre d’un électron, fût-il librement poétique. Du jeu sur les mots escompté et promis il ne restera qu’un fade compromis : une litanie de termes techniques incorporés dans le texte avec la délicatesse d’une bétonnière mélangeant le gravier au ciment… Installé dans sa posture conventionnelle, l’artiste se contente d’observer la scientifique, avec bien sûr l’autodérision et l’ironie attendues en pareille situation, jouant l’inculte, osant la provocation, s’émerveillant du monde merveilleux de la science. Et ce qui faisait l’enjeu, la rencontre de l’art et de la science, se réduit à sa seule part tangible, la plus congrue : la rencontre entre deux personnes. Rien de très original, donc. Ce ne serait pas forcément mal en soi si, contraint par le projet de faire dialoguer art et science, Lescot n’en proposait une vision stéréotypée, chacun jouant sa partition convenue. L’artiste, un homme, rencontre un scientifique, une femme, et projette sur elle son regard de désir coupable – désir de science ou désir charnel, que le texte se plaît à fondre sans la moindre surprise ni subtilité. La relation étant évidemment à sens unique : le scientifique est – cela va de soi – le phénomène curieux à étudier, à vulgariser, et l’artiste est cantonné à son rôle d’amuseur, de poète sur commande, de faiseur de spectacle. Le « dialogue entre les univers » tourne au dialogue de sourd. Voire de muet, si l’on tient compte de l’intérêt général de ce qui se dit.

Pour juger de l’ensemble de Binôme, il conviendrait d’avoir vu toutes les propositions des artistes, ce que je n’ai pas fait, mais il semble que Lescot ne soit pas à blâmer outre-mesure. La forme même du projet, ses contraintes absurdes qui semblent être inspirées d’un jeu télé (cinquante minutes, pas une de plus, l’interdiction absolue pour les candidats de communiquer pendant la période d’écriture etc…) formatent une proposition conduisant inévitablement vers le superficiel et le spectaculaire. Il n’y a pas de « rencontre », tout juste un échange de politesse. L’auteur n’a, en définitive, aucune chance de pénétrer l’univers complexe du scientifique pour en tirer la matière de sa création. Pourtant, on exige sans sourciller qu’il fasse œuvre d’art. Belle vision que celle d’une création reposant sur le vide absolu de sens !

Ni l’art ni la science n’en sortent grandis. Dommage… Et l’on se demande si un simple et bon documentaire n’aurait pas atteint le but escompté en alliant création artistique et profondeur intellectuelle. D’autant que Lescot ne s’y était pas trompé : Valia Valiotis semble effectivement être un personnage étonnant.

Moi j’utilise la lumière comme source d’excitation de la matière
De : David Lescot
Issue de sa rencontre avec Valia Voliotis, chercheuse à l’Institut des Nanosciences de Paris (un laboratoire CNRS et UPMC)
Mise en lecture : Camille Chamoux, assistée de Sandrine Lanno
Avec :  Élizabeth Mazev, Thibault Rossigneux, Florian Sitbon
Création musicale :  Pierre Jodlowski, Christophe Ruetsch

Samedi 28 janvier 2012 à 15h
Dans le cadre du festival La Science se livre
Suivi de Tropopause (Christian Siméon et Ronan James) à 18h

Palais de la Culture
19/21 rue Chantecoq, 92800 Puteaux
Réservations 01 46 92 94 77
www.culture.puteaux.fr

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