ƒƒƒ Critique Denis sanglard
© Nicolas Thévenot
Macbeth Kanaval est une descente hallucinée
Un lent et long cauchemar glacé que traversent cinq acteurs engagés corps et âmes dans cette folie implacable. Pascale Nandillon racle l’œuvre de Shakespeare qu’elle dépiaute jusqu’à en faire gicler les nerfs, jusqu‘à nous faire grincer les dents. Mise en scène à vif d’un texte et réflexion sur le pouvoir et l’hystérie sanglante où le meurtre est la règle. Expérimentation qui fragmente l’œuvre et le concentre sur le couple infernal et royal. Pascale Nandillon opte pour un point de vue unique, celui de Macbeth et sa lente déréliction, sa chute inexorable, vertigineuse et lente. A travers ces deux là, les deux Macbeth, hystériques au sens premier, c’est aussi le pouvoir que Pascale Nandillon ausculte. Celui qui vous ronge et vous bouffe le cerveau, véritable came. Qui mène au meurtre où la raison n’est plus que lambeau brumeux. Hystérie du pouvoir, hystérie des corps c’est du pareil au même. Les corps sont tordus, tendus. Il y a dans le pouvoir un érotisme, une sexualité âpre que lady Macbeth porte en elle, crûment. L’acte politique, le meurtre, est masturbatoire. Retrousser ses jupes c’est aussi céder à la jouissance du pouvoir et du meurtre.
Fardés à la truelle, faces blanchies ou rougies, oripeaux sur le dos, trop larges ou trop étroits, les acteurs sont déguisés ostensiblement. Le pouvoir usurpé c’est un vaste carnaval où tout est cul par-dessus tête avant que l’ordre ne revienne. Nul pour un temps donné n’est à sa place. Encore moins Macbeth dont le couvre-chef vacille…Les acteurs sont des fantômes qui errent sur le plateau, chœur des sorcières parlant d’une voix, miroir éclaté du couple royal, chacun endosse ses costumes, pièces de bric et de broc, qui lui donneront provisoirement son rôle dans cette comédie sanglante des faux-semblants… Inversion des rôles, invention du rôle, nous sommes au théâtre. Les rôles changent, s’interpénètrent. Les acteurs ne sont plus que des mannequins un peu plus vivant sans doute que ceux qui parsèment la scène et que l’on vêt pour un banquet ou une bataille. Ils cernent, fantomatiques, le couple royal, l’enferment un peu plus dans sa folie…Lecture cohérente de l‘œuvre où prime l‘ensemble, l’œuvre, plus que l‘individu. Cette cohésion là est réussie. Et ce théâtre d’ombres sanglantes semble s’inventer sous nos yeux. Le jeu est sciemment dénoncé parce que l’enjeu est ailleurs. Ce qui compte n’est pas tant la forme ou du moins la forme seule qui ici ne peut exister qu’en corrélation avec le fond. La forme est mouvante, instable. Rien n’est stable d’ailleurs dans cette formidable création. Pas même les acteurs, le couple maudit, qui semblent toujours au bord de tomber. Il y a mise en abyme d’une chute, d’un pouvoir éphémère annoncé. L’intelligence de Pascale Nandillon n’est donc pas seulement d’interroger le pouvoir politique. Macbeth Kanaval est aussi une réflexion sur le théâtre et son histoire. Sur la forme à donner. La bande son est ainsi aussi importante que l’ensemble. Elle est également un élément réflexif, un questionnement archéologique, historique. Un contre point. Sont diffusées les versions d’Orson Welles, de Carmelo Bene (par ailleurs, si influence il y a elle est peut être à chercher de ce coté ci), Kurosawa. Et Apocalypse Now… Un choix audacieux que ce film mais intelligent. Ce que dit le Colonel Kurtz éclaire violemment cette mise en scène du pouvoir et de l’horreur. Une horreur légitimée. A ces voix se mêlent celles des acteurs. Voix du passé et voix du présent se répondent, assurant à l’œuvre une continuité, une contemporanéité.
Pascale Nandillon et sa mise en scène s’inscrivent donc dans une lecture réfléchie et non purement littérale, illustrative et plate. La dramaturgie complexe et explosive donnée sur le plateau est d’une intelligence rare. Confus diront certains. Cette confusion est illusion. Le pouvoir est une vaste et sombre tragi-comédie, une farce. Un carnaval. C’est l’illusion de Macbeth qui crée ce théâtre d’ombre, ce carnaval grotesque. La confusion apparente n’est que la confusion de ce personnage perdu dans un entre-deux tragique. Sa désillusion sera sa fin. Ce que soulève Macbeth et que souligne Pascale Nandillon c’est la perte de sens de l’individu entraîné dans une spirale infernale où le meurtre appelle au meurtre, où les repères se brouillent et tombent les uns avec les autres. Macbeth met en scène sa folie, sa vie est un théâtre vidé de son sens. « Un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, ne signifiant rien ». On sort de cette création vidé, rincé mais avec la conviction tenace et ténu que quelque chose d’importance se joue là. Pascal Nandillon et ses acteurs offrent une belle et magistrale leçon de théâtre. Un théâtre intelligent, vif, réflexif. Et surtout, sans concession.
Macbeth Kanaval
Création de l’Atelier Hors Champs à partir de Macbeth de William Shakespeare
Traduction André Markowitz
Mise en scène Pascale Nandillon
Assistante à la mise en scène Aliénor de Mezamat
Collaboration artistique, scénographie, création sonore Frédéric Tétart
Avec Séverine Batier, Serge Cartellier, Alban Gérôme, Myriam Louazani, Sophie Pernette
Lumière Frédéric Tétart, Soraya Sanhaji
Costumes Odile Cretaultdu 16 au 28 février 2015 à 20h30
Atelier de Paris – Carolyn Carlson
Cartoucherie
Route du champ
de Manœuvre
75012 Paris
Réservation 01 41 74 17 07
www.atelierdeparis.org