Critiques // Critique. LOST (REPLAY) de Gérard Watkins. Au théâtre de la Bastille

Critique. LOST (REPLAY) de Gérard Watkins. Au théâtre de la Bastille

Jan 09, 2013 | Aucun commentaire sur Critique. LOST (REPLAY) de Gérard Watkins. Au théâtre de la Bastille

ƒ Critique Denis Sanglard

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© Alexandre Pupkins

Trois anges déchus d’avoir soufflé dans les bronches de Dieu se retrouvent après expulsion du paradis dans la chaudière d’un immeuble. Arrivée catastrophique sans tambour ni trompette. Il ne fait pas bon de dénoncer Dieu et ses plans foireux. L’ humanité est en piteux état, les hommes ne communiquent plus, le langage est perverti, vidé de son sens. Ces trois là, désœuvrés, désormais paumés, vont tenter de redonner souffle au projet initial, de démontrer que sans doute tout n’est pas perdu. Question aussi de faire la nique à Celui d’en haut. Pour ce faire il suffit de reprendre la recette initiale, mettre face à face deux échantillons de l’espèce humaine. Sans aller bien loin: l’immeuble abrite justement deux magnifiques spécimens. solitudes qui croulent sous les instruments de communication mais ne sont reliés qu’au vide, perdus dans un monde qui les dépasse. Provoquer leur chute, une simple rencontre, c’est réveiller leur conscience. Et cela passe par le langage. La réappropriation du sens. La poésie.

REFUGIÉS DE L’EST

Lost (replay) de Gérard Watkins est une fable tendre et burlesque, frôlant le mièvre parfois et qui n’a sans doute pas la puissance et le mordant des pièces précédentes comme Identité. Gérard Watkins dresse un constat doux-amers sur les relations humaines désormais vidées de leur substance. Prise dans un réseau de communication de plus en plus puissant et performatif qui ne génère que solitude, l’humanité se dépouille paradoxalement de son langage, de sa poésie. Les mots ne sont plus signifiant. Corrompue, la langue n’est qu’un outil calibré pour un marketing agressif, une politique pervertie. Hub (Fabien Orcier) et Fay (Nathalie Richard) en sont les deux exemples. Lui qui surveille les éléments de langage des employés (indiens) d’une boite de télécommunication, elle reliée au monde par une Box mais repliée dans son appartement. Deux être fragiles et broyés dont la vie n’a pas plus de sens que le langage formaté qu’ils utilisent. Se réapproprier sa vie, apprivoiser l’autre, l’aimer est aussi affaire de langue, de paroles à échanger, de sens à retrouver. Pour Gérard Watkins qui possède le langage acquiert sa liberté. C’est cette liberté là, précieuse, que les anges eux-mêmes désormais libérés vont tenter d’offrir à ces deux mutilés.

Gérard Watkins revisite avec humour la genèse où les anges sont des loosers, des clowns pathétiques, qui se font passer pour des réfugiés de l’est. Car qui croit aux anges désormais ? Des êtres sales et hirsutes, puant le vomi, réfugiés dans une cave. Inadaptés, et pour cause, ils sont les candides qui révèlent nos failles, épinglent ce que l’humanité peut avoir aujourd’hui à la fois de terrible ou tragique et de fragile. Humanité dont Hub et Fay sont à la fois les enfants et les victimes.

DÉCALAGE

La mise en scène de l’auteur opte évidemment pour le burlesque, l’humour et la délicatesse. Qui fait oublier les quelques longueurs du début où la pièce peine à s’installer. (Mettons cela au crédit de la première). Des images presque incongrues distillent une poésie légèrement surréaliste sinon absurde. Fay jouant pour se calmer du shofar, instrument à vent des plus primaires mais au son ô combien « biblique » ou Hub mixant les sons de l’immeuble avec les voix qu’il espionne pour son travail. Un duo délicieusement naïf et léger,  assurément fêlé de blessures intimes qu‘elles soient dans leur chair ou dans leur tête, face aux Pieds Nickelés éjectés des cieux et descendus par la cheminée. Un trio d’anges improbables, politiquement incorrect, formidablement boosté par Anne Alvaro et Antoine Matthieu, pas forcement à l’aise dans le registre burlesque du début -leur arrivée fracassante- mais qui se dépouillant de ce style là  pour évoluer vers un registre plus fin dans le comique donnent enfin pleine mesure à leur formidable talent. Ainsi Anne Alvaro fumant sa première cigarette devient un tableau assez cocasse. Ils esquivent habilement ce qui pourrait devenir un  pensum. Aidés en cela par la légèreté de la mise en scène qui ne semble ne pas se prendre au sérieux, évitant ainsi tout didactisme ou pédagogie.

Rien de plus difficile au théâtre que de faire entendre une certaine poésie. Gérard Watkins opte donc pour le décalage permanent. Tout est décalé dans cette pièce, des faits aux personnages, on ne s’étonnera donc pas que se dégage dès lors et que s’entende une certaine poésie. C’est peut être là ou réside la réussite de cette création. Sans doute pas la meilleure de cette auteur et metteur en scène mais la plus volontairement naïve. Naïveté volontaire et assumée qui révèle, comme dans toute fable, et à contrario, le tragique de l’existence dans une société de communication sourde à l’individu. Changement de registre radical mais non de contenu. Gérard Watkins avec malice nous rappelle pourtant que nous sommes au théâtre et que le théâtre, par le langage, sa poésie, et la mise en scène a le pouvoir de révéler. Sans doute le dernier- et fragile- espace de liberté. Diable !

LOST (REPLAY)

Texte et mise en scène de Gérard Watkins
Avec Anne Alvaro, Gaël Baron, Antoine Matthieu, Fabien Orcier, et Nathalie Richard
Assistanat à la mise en scène:  Maya Boquet
Scénographie et régie Lumière: Michel Gueldry
Lumières: Christian Pinaud
Création sonore et régie: François Vatin
Musique: Gérard Watkins
Création maquillage: Nathy Polak
Costumes: Maya Boquet et Gérard Watkins
Régie Générale: Alain Jungmann
Construction décors: Michel Gueldry et Gianluca Curulla
Du 7 janvier au 3 février à 20h, dimanche à 18h
Relâche les 10, 14, 21 et 28 janvier.
Théâtre de la Bastille
76 rue de la roquette
75011 Paris
Réservations 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

 

 

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