ƒƒ Critique  Suzanne Teïbi

©DR

Ecouter les victimes

Sur toile de fond d’une déclaration préoccupante sur les Roms par le Ministre de l’Intérieur, le spectacle Letze Tage. Ein Vorabend tombe à point nommé. Christoph Marthaler fait du théâtre un lieu de commémoration et de mise en garde. Encore une fois, il s’entoure de musiciens et de chanteurs, et propose un projet qui mêle intimement théâtre et musique.

A l’origine, Letze Tage. Ein Vorabend (Derniers Jours. Une veillée) a été créé pour la grande salle du Parlement de l’Autriche-Hongrie, un espace purement politique. Il s’agit de faire dialoguer l’Histoire européenne d’hier avec celle d’aujourd’hui. Il mélange discours politiques qui précédèrent la Première Guerre Mondiale – emprunts d’antisémitisme – textes fictionnels, et musiques créées par des compositeurs juifs, pour la plupart exterminés pendant la Seconde Guerre Mondiale. Si l’Histoire ne cesse de se répéter, les signes avant coureurs de la Shoah peuvent se déceler dans les nombreux discours antisémites. Christoph Marthaler pose clairement la question d’une nouvelle vague de racisme en Europe. Il confronte le spectateur aux bourreaux, avec une mise en scène et une scénographie audacieuses, et prend des risques. Nous ne sommes pas dans la grande salle du Parlement, mais au Théâtre de la Ville. Ici, le public et les comédiens se font face, avec un plateau qui agit en miroir. Les gradins ont été reproduits sur le plateau, à ceci près que certains sièges sont cassés, et que certains manquent, pour laisser la place à un orchestre, qui joue en direct les pièces des compositeurs juifs. La parole est aux bourreaux, hommes et femmes politiques qui lisent leur discours. La musique est aux victimes.

Les vivants et les morts

La scénographie est simple mais monumentale. Ces gradins occupés par les comédiens, qui s’y déplacent sans cesse pour occuper puis vider l’espace, ne cessent de nous rappeler que les sièges vides sont aussi ceux des morts. C’est là que ce spectacle prend sa plus grande dimension, plutôt que dans ce qui est dit frontalement, avec le risque d’un didactisme pur qui peut manquer de complexité par moments. Lorsque la violence s’imprime jusque dans le corps, les comédiens finissent par reproduire des mouvements leitmotiv, et la dimension chorégraphique produit du sens dans ce qui n’est pas dit. Marthaler prend aussi le risque de l’ennui, de la lenteur et du silence, et dilate le temps du spectacle, mais c’est encore une fois du temps qu’il donne aux absents, et à ce qui ne peut être dit.

Letze Tage. Ein Vorabend

Mise en scène & musique : Christoph Marthaler
Direction musicale : Uli Fussenegger
Scénographie : Duri Bischoff
Costumes : Sarah Schittek
Lumières : Phoenix (Andreas Hofer)
Dramaturgie : Stefanie Carp
Traduction : Jayrôme C. Robinet
Avec : Tora Augestad, Carina Braunschmidt, Bendix Dethleffsen, Silvia Fenz, Ueli Jäggi, Katja Kolm, Josef Ostendorf, Clemens Sienknecht, Bettina Stucky, Michael von der Heide, Thomas Wodianka
Musiciens : Uli Fussenegger (contrebasse), Hsin-Huei Huang (piano, harmonium), Michele Marelli (clarinette, cor de basset), Julia Purgina (alto), Sophie Schafleitner (violon), Martin Veszelovicz (accordéon)
Compositeurs : Pavel Haas, Ernest Bloch, Rudolf Karel, Józef Koffler, Pjotr Leschenko, Emil František Burian, Charles Loubé/Erich Meder, Erwin Schulhoff, Alexandre Tansman, Jakob Ullmann, Bernhard Lang, Erich Wolfgang Korngold, Uli Fussenegger & autres

Du 25 septembre au 2 octobre 2013 à 20h30 – Relâche le dimanche 29 septembre et le mardi 1^er octobre

Théâtre de la Ville
2, Place du Châtelet – 75004 Paris
Métro Châtelet
réservations: 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

 

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