Critiques // Critique . Les Dramuscules (Un dé-montage) de Thomas Bernhard à L’Atelier du Plateau

Critique . Les Dramuscules (Un dé-montage) de Thomas Bernhard à L’Atelier du Plateau

Mai 13, 2012 | Aucun commentaire sur Critique . Les Dramuscules (Un dé-montage) de Thomas Bernhard à L’Atelier du Plateau

Critique d’Anne-Marie Watelet

Bonne surprise que ces « drames minuscules » joués dans une salle qui l’est tout autant ! L’Atelier du plateau qui accueille cette création, a bien fait les choses.

Ce sont des courtes pièces que T. Bernhard a écrites à la fin de sa vie, entre 1978 et 1981, dans lesquelles il exhale sa colère contre ce qu’il exècre depuis longtemps, avec une jubilation de langage propre à son écriture.

Trois d’entre elles sont jouées ici en un seul acte par trois comédiens au jeu bi-frontal, dans un espace scénique nu et restreint, où tombera une lumière blanche et crue assez expressionniste.

Silence et obscurité absolue. L’attente dure. « Regardez… » répète une voix.

Dans la campagne autrichienne. Deux femmes  croient trouver un mort dans un sac, mais soulagement : celui-ci renferme des affiches nazies; puis dans « Le mois de Marie », les mêmes, deux voisines, sortent de l’église un dimanche, échangent des ragots qui se terminent par des anathèmes contre les étrangers – les turcs, « ces bons à rien crasseux qui nous volent…»; et enfin, un présentateur-télé qui se démène pitoyablement pour faire passer un sommet politique tout en distrayant le public.

© photo Véronique Drougard

On rit de ces personnages, de ces bouffons ordinaires, anonymes. Bernhard n’en révèle pas moins les pires bassesses humaines, et ce faisant, sa souffrance. Son artifice du langage ainsi que l’absurde les sortent de leur banale réalité pour hisser le pavillon de leur bêtise, leur inconscience. Les deux femmes dans « Un mort » anone leur étonnement avec le lourd autrichien (l’Autriche tant détestée !), les deux voisines (ou soeurs, car un seul nom les désigne) trouvent dans l’accident avec le turc un inépuisable et macabre sujet qui nourrit leur paranoïa. Dans un lent crescendo leurs paroles répétées tournent autour d’elles-mêmes, au point de se vider de leur substance, de n’être plus qu’une voix – la pensée unique! De même, mais dans un registre politique, l’animateur télé use de propos démagogiques et de son corps pour séduire. Il vend son image, celle d’un homme convaincu lui aussi des poncifs éculés dont il abreuve l’auditoire. Et de l’haranguer, de faire le clown : il faut distraire pour mieux insinuer dans les esprits les messages des hommes politiques ! Et des deux femmes, la plus autoritaire gagne l’autre à ses imprécations racistes : facile d’asservir ! A moins que, comme le pense la comédienne Suzanne Llabador, soeurs siamoises, les deux ne soient qu’une, « un corps à deux têtes », ce qui les réduit à des êtres décérébrés  inconscients – et elles le sont – et la parole au non-sens. Pour finir, le ton monte jusqu’au cri terrifiant (peur, haine?) qui nous glace.

On retrouve dans ces dialogues la structure musicale dans le phrasé dramatique, les répétitions dans les gestes qui rythment le jeu et donnent un tour incantatoire à la dénonciation. Difficile pour des comédiens d’être dans la parole bernhardienne, tout en gardant une certaine distance nécessaire, et quelle distance? Anne Baudoux et Suzanne Llabador dégagent admirablement de leur corporalité un esprit étriqué; leurs voix sont justes, sachant restituer les silences, imprimer aux phrases le caractère obsédant qui nous étreint. Guillaume Hincky est totalement habité par son personnage : l’énergie, la gestuelle d’un clown; son visage grimaçant rappelle ceux du peintre James Ensor. Une joie de surface : l’hypocrisie des medias ! Joie idiote qui, comme pour les femmes, nous font percevoir le dégoût de l’auteur pour cette humanité incapable de réfléchir, et dont les poncifs béats ne portent que des dangers.

Rythme également grâce aux extraits de films d’archives montrant la propagande et les défilés nazis. Excellemment intégrée dans le jeu des personnages, cette intervention scénographique concrétise les menaces à venir. L’impression est forte, d’autant que le metteur en scène a privilégié l’action sans aucune couleur locale. Pas de décor, (il eût fallu sinon un plus grand espace !), les comédiens sont vêtus de costumes noirs datés, c’est tout, et c’est très bien ainsi ! Au spectateur de se représenter ce petit univers autrichien, se prétendant libéral et tolérant, mais dont l’auteur dévoile les relents nazis. Sous la respectabilité – les femmes arborent leur missel (la peur aussi ?), et les apparences, T. B. a senti sourdre une nouvelle source putréfiée.

Claus Peymann, son acteur habituel, a dit de ses pièces qu’elles étaient des « danses macabres au sommet ou à la fin d’une époque ». Et la douce voix de la chanson hongroise à la fin dit que rien ne sera plus comme avant.

Bravo donc pour cette nouvelle adaptation des Dramuscules que l’on souhaite revoir à l’affiche sous peu !

Dramuscules (Un dé-montage)

Texte de Thomas Bernhard
Mise en scène de Emilien Malausséna
Avec Anne Baudoux, Guillaume Hincky, Suzanne Llabador
Son de Cannavo
Lumières de Claire Gondrexon
Vidéo de Nicolas Lebesque

Les 10,11 et 12 mai à 20h

Atelier du plateau,
5 rue du plateau  75019 Paris (fond de l’impasse)
Metro :  Buttes Chaumont – Jourdain
atelierduplateau@free.fr
Réservation : 01 42 41 28 22

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