ƒƒ Critique Denis Sanglard
Dans un vieux cabaret poussiéreux s’agitent des fantômes. Des artistes de Music-hall, de ceux du temps des apaches, ces voyous parisiens de la belle époque. Danseurs, acrobates, chanteurs, magiciens, transformistes, ventriloques… se disputent la minuscule scène de ce Nickelodéon où pointe déjà la concurrence d’un cinéma débutant. Le maître de cérémonie est fatigué, les numéros ne sont pas toujours au point, les artistes sont souvent maladroits. C’est parfois grotesque et pathétique. Et quand c’est réussi c’est tout simplement merveilleux parce que si fragile. Il y a la scène et les coulisses, là où les masques tombent et le fard s’écaille. Peu de mots échangés, juste des corps qui expriment bien plus, entre douceur canaille et violence. C’était du temps de Jenny Golder, Régine Flory, Gaby Deslys, Harry Pilcer, Frégoli avant que n’adviennent La Miss, Maurice Chevalier, Barbette et Joséphine Baker… Mais ici ce n’est pas le Casino de Paris, ni l’Alhambra.
Nous sommes au milieu de nulle part, une Amérique rêvée sans doute, où ont échoué ces artistes d’un autre temps. Qui répètent inlassablement les mêmes numéros bricolés, s’illusionnent, se jalousent. Tocards, ringards sans doute mais avec la même passion chevillée au fond de soi, cette urgence vitale, d’aucun appellerait cela de l’orgueil, qui les fait se relever à peine tombés… Être solidaires malgré les rivalités. Question de survie. De passion. Macha Makeïeff ouvre les portes du Nickelodéon et c’est tout une humanité, « les petits, les obscurs, les sans-grades » du music-hall, qui surgit de la pénombre. Ceux qui ne seront jamais en haut de l’affiche.
Ce théâtre sent la sueur, le talc, le gras de maquillage et la poussière. Ce que Colette dans La Vagabonde ou Mes Apprentissages écrivait si bien. Ou mieux encore Pauline Carton dans Les théâtres de Carton, carnet de croquis lucide sur cette condition d’artistes de seconde zone, de revues improbables, de tournées invraisemblables. Les artistes recrutés par Macha Makeïeff sont magnifiques et bouleversants qui savent avec brio et virtuosité rater si bien leur numéro. Robert Horn en premier lieu. Maître de cérémonie de cette revue, il illustre sans doute le mieux cette fragilité et cette fierté de l’artiste déclassé. On rit certes mais l’émotion affleure derrière le burlesque. Nous aurions tort de trouver de la mélancolie dans cette création. Loin de là. Peut être un peu de nostalgie et encore… Macha Makeïeff reste à juste distance. C’est drôle et enlevé, les numéros s’enchaînent rapidement au long d’un fil narratif ténu mais tenu de bout en bout. Les Apaches perdent de leurs plumes mais qu’importe ils ne sont que le point de référence d’un temps révolu. Ce qui se joue dans ce cabaret, sur cette scène déglinguée et poussiéreuse, se joue dans tous les music-halls du monde. Et quand enfin sonne l’heure du départ c’est pour un autre naufrage. Qu’importe, the show must go on!
Les Apaches
Un spectacle de Macha Makeïeff
Avec Braulio Bandeira, Philippe Borecek, Romuald Bruneau, Noëlie Giraud, Robert Horn, Hervé Lassïnce, Canaan Marguerite, Aurélien Mussard
Mise en scène, décors et costumes Macha Makeïeff
Lumières Dominique Bruguière assistée de Cathy Pariselle
Chorégraphie Thomas Stache
Assistant à la mise en scène Pierre-Emmanuel Rousseau
Réalisateur Films Simon Wallon
Réalisateurs bande-son Pierre Routin
Coiffures et maquillages Cécile Kretschmar
Assistante aux costumes Claudine Crauland
Assistante à la scénographie Claudine Bertomeu
Iconographie Guillaume Cassar
Fabrication d’accessoires Margot ClavièresMC93 Bobigny
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny
Métro : Bobigny PicassoJusqu’au au 21 avril 2013
Mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 20h30 – Mardi à 19h30 – Dimanche à 15h30Réservations 01 41 60 72 72
www.mc93.com