Critique Bruno Deslot

Entre effacement des corps et oubli de soi !

Besoin d’argent afin d’échapper à une pauvreté inextricable, les femmes de certaines régions d’Europe du Sud-Est se font vendre. De Kafana en Kafana, elles deviennent les instruments sexués d’une société masculine sans limites !

Le « Kafana » est un bar dans certaines régions de l’Europe du Sud-Est où les femmes sont vendues par des passeurs contre un peu d’argent afin de satisfaire une clientèle locale. Dans une ambiance de fin de soirée, les lumières sont tamisées, et la parole toujours livrée avec une certaine pudeur. La cruauté des mots suffit pour restituer le parcours désolant de ces femmes qui ont caressé l’espoir de s’en sortir malgré elles. Violées, battues, transformées en égout séminal, elles ne retrouveront jamais le chemin de leur maison car au bout du « Septième Kafana », elles perdent la vie ou sombrent dans la démence !

Sur scène, trois voix pour toutes, deux femmes et un homme, enchaînent les témoignages désolants d’une civilisation où la violence sexiste n’échappe à aucune régulation. Réduites à l’état de vagin monnayable, les jeunes filles, souvent mères, deviennent des objets obéissant à tous les fantasmes d’une société consumériste et historiquement patriarcale.

À jardin, des bouteilles d’alcool, verres et cendriers sont renversés sur une table. Celle-ci ouvre l’espace sur une guirlande de lumière posée au sol. Une rangée de chaises est placée en fond de scène. L’ambiance est très confidentielle afin d’assurer un contraste avec la cruauté du propos abordé. Entre fiction et théâtre documentaire, Le Septième Kafana n’offre aucune invention au niveau de la mise en scène et l’on pressent, de la part de l’équipe artistique, une volonté de faire entendre simplement une parole crue par l’entremise de jeux de lumière, d’une superposition de mots dits par deux comédiens, de phrases récurrentes ouvrant et refermant la proposition sur une vaste interrogation. L’ensemble est d’une grande richesse mais reste toutefois trop pudique et manque d’une tension dramatique qui ne demande qu’à s’installer afin de donner davantage de nuances à l’ensemble de la mise en scène. Certes, les comédiens alternent leur jeu entre interventions musicales, chants et vibrations vocales, mais le Kafana manque de résonance dans le sens : nuancer une parole crue par une mise en scène la mettant davantage en abyme. Un point de détail cependant pour un travail fouillé et dense de la part du Fractal Théâtre.

Traduit du roumain par Dany Aude Rossel, Le Septième Kafana est un projet sur les femmes vendues. Les auteurs de l’ouvrage, Nicoleta Esinencu, Mihai Fusu et Dumitru Crudu, alertés dans leur statut de citoyen et d’intellectuel ont décidé, à l’aide de l’écriture dramatique, de faire acte de prévention face à l’ignorance dans laquelle se trouvent la plupart des femmes volées pour les bordels militaires. Les auteurs sont allés à la rencontre de ces femmes, issues pour 65% d’entre elles, des petites villes et villages de Moldavie. Ils ont donc construit un texte à partir de récits et d’interviews où les questions ne sont pas toujours présentes mais se devinent dans les récits énoncés.

Le Fractal Théâtre souhaite parcourir l’Europe avec ce beau projet, nous leur souhaitons bonne route et beaucoup de succès.

Le Septième Kafana
De : Dumitru Crudu, Nicoleta Esinencu, Mihai Fusu
Adaptation et mise en scène : Nathalie Pivain
Avec : Céline Barcq, Frédéric Gustaedt, Salomé Richez et la participation de Nathalie Pivain
Assistante : Céline Meyer
Lumière : Raphaël De Rosa
Son : Isabelle Surel
Jusqu’au 5 mai –  Du mercredi au samedi à 20h30 et le dimanche à 17h

Théâtre de l’Opprimé
78 rue du Charolais 75012 Paris
Métro : Gare de Lyon
réservations : 01.43.40.44.44
www.theatredelopprime.com

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