Critiques // Critique. « Le mystère des-mystères ». Mise en scène Alexis Forestier au Théâtre l’Echangeur

Critique. « Le mystère des-mystères ». Mise en scène Alexis Forestier au Théâtre l’Echangeur

Déc 21, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Le mystère des-mystères ». Mise en scène Alexis Forestier au Théâtre l’Echangeur

ƒƒ Critique Suzanne Teïbi

Mystères

 ©DR

 

Le plateau : un laboratoire d’expérimentation

Entrer dans un spectacle d’Alexis Forestier est une expérience en soi. C’est entrer dans une proposition radicale, qui chaque fois s’empare d’une œuvre, se l’approprie totalement avant de la restituer à sa manière, souvent sous la forme d’un collage-montage. Le mystère des mystères explore les poèmes et récits en prose d’E.E.Cummings, écrivain, poète et peintre américain (1894-1962) dont l’écriture porte une dimension charnelle, novatrice, érotique et politique puissante.

Encore une fois, quelle proposition !

Encore une fois, un mélange de textes parlés, joués, chantés, de petites ritournelles lancinantes et d’images qui ne nous quitteront plus pendant des jours. La dramaturgie se construit sur un rapport intime entre musique et texte. Pendant que des figures se dessinent, des textes se chantent, un bricolage de décor s’élabore sous nos yeux, des objets industriels montent et descendent des cintres : le plateau est un laboratoire d’expérimentation où tout peut venir de partout. Un marchand de ballons, boiteux, traverse le plateau. Les comédiens viennent de derrière nous, jouent, repartent derrière nous, reviennent, repartent. Ils reviennent, nous regardent, nous offrent les mots de Cummings. On ne sait pas depuis combien de temps on est là. On croit que c’est fini. Le marchand de ballons repasse. Rien n’est fini, tout est reparti. Le décor est détruit à nouveau, reconstruit ailleurs. Et c’est dans cet univers très fort, répondant à son propre rythme, à sa propre logique temporelle, qu’une cohérence commence à s’installer. Si la représentation s’articule autour de mouvements aux thématiques propres, ils sont difficilement saisissables pour le spectateur. Ne parviennent que des successions d’émotions. Mais peu importe la compréhension, il n’y a ni drame, ni linéarité, il y a des temps qui s’entrechoquent, se frottent, et nous désarçonnent.

“NE CHERCHEZ PAS À LE COMPRENDRE, LAISSEZ-LE ESSAYER DE VOUS COMPRENDRE”[1]

Le texte ne nous parvient cependant pas toujours, parasité par la juxtaposition d’images, de musique, de chansons, de projections. Mais la démarche est belle, et les fragments qui nous parviennent sont saisissants. Tout comme Cummings invente une langue qui déraille, qui dysfonctionne – une langue dans laquelle c’est précisément par les néologismes que l’on est en capacité d’entendre sa perception inouïe du monde – le spectacle d’Alexis Forestier se réapproprie la langue de Cummings, et en propose sa version dans laquelle la scénographie est un travail plastique à part entière, propice aux différentes formes qui se côtoient: ombre, guignol, music-hall… Le spectacle prend vraiment sens lorsqu’il parvient à faire émerger de ce grand magma sensible des situations concrètes, et pourtant très poétiques, qui font théâtre. Lorsque les personnages éphémères se répondent et échangent, lorsqu’ils jouent ensemble, véritablement, et qu’ils nous offrent tout l’érotisme et la force politique de cette écriture.

Avec Le mystère des mystères, la compagnie Les endimanchés poursuit sa recherche sur les écritures poétiques et les formes fragmentaires. Elle pose la question de leur traitement au théâtre, et y répond en nous livrant un spectacle où musique et texte sont complémentaires. Elle poursuit une voie poétique très singulière, qui a le mérite d’oser,  de spectacle en spectacle, imposer une logique radicale.

 

Le mystère des mystères
Texte-collage d’E.E.Cummings
Mise en scène, scénographie et musiques originales : Alexis Forestier
Avec la participation de : Alexis Auffray et Pascal Bence
Création sonore : Jean-François Oliver, Jean-François Thomelin
Création lumière : Matthieu Ferry, assisté de Fanny Perreau
Avec : Elise Chauvin, Jean-François Favreau, Alexis Forestier, Cécile Saint-Paul
Collaboration musicale : Antonin Rayon

Jusqu’au 22 décembre 2012

Théâtre de l’Echangeur
Du lundi au samedi à 20h30; le dimanche a 17h; relâche le mardi 18 décembre et les mercredis
L’Echangeur –59, avenue du Général de Gaulle – 93170 Bagnolet
Métro :  Gallieni
Réservation 01 43 62 71 20
www.lechangeur.org

 


[1]       E. E. Cummings, Conseil au public lors de la représenttaion  de sa pièce Him en 1928

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.