Critiques // Critique • « Le Misanthrope » de Molière Mise en scène Dimitri Klockenbring au Théâtre du Lucernaire.

Critique • « Le Misanthrope » de Molière Mise en scène Dimitri Klockenbring au Théâtre du Lucernaire.

Mar 03, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Le Misanthrope » de Molière Mise en scène Dimitri Klockenbring au Théâtre du Lucernaire.

Critique de Jean-Christophe Carius

Alceste, il n’aurait pas vraiment aimer être sur Facebook.

Alceste le Misanthrope est, après Harpagon l’Avare, l’un des rôles titres des pièces de Molière les plus connus du public. Mais, contrairement à la figure de l’Avare, à laquelle peu de gens s’identifient spontanément, chacun peut trouver dans le personnage du Misanthrope le reflet de ses difficultés personnelles face aux modes de rapports sociaux qui heurtent sa propre sensibilité ou ses blocages comportementaux.

Dès le début de cette comédie, le conflit de principes se trouve en état de tension extrême et menace de rupture brutale les parties en présence. Alceste, membre éminent de l’aristocratie, homme sensible et exigeant, à la forte personnalité, est malheureusement pour lui tombé amoureux d’une intrigante de talent qui semble prendre un malin plaisir à ajouter cet homme sourcilleux à la liste de ses prétendants. Dans les soubresauts orageux de cette interaction problématique, les deux protagonistes vont catalyser les frustrations d’amour propre, aidés activement par une société de salon dont chaque membre représente un additif particulier dans la composition de ce cocktail explosif, jusqu’à faire voler en éclats le vernis des relations sociales dans un bouquet final transgressif.

Seul le couple formé à la fin par les deux personnages les plus raisonnables, les deux “raisonneurs”, aurait-on dit à l’époque de Molière, va garder le cap de la recherche d’un équilibre personnel au sein d’un milieu mondain tissé d’hypocrisies et de malveillances.

“L’ami Zantrop, quand il est à Saint-Trop’, il vit comme un ascète”

chantait déjà, il y a quelques années, Bobby Lapointe.

La mise en scène du Misanthrope créée par Dimitri Klockenbring, présentée au théâtre du Lucernaire et double lauréate du prix Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène en 2010, propose une lecture mise au goût du jour de la comédie de Molière. Les décors, les costumes, les sons replacent le propos dans l’époque actuelle et nous donne ainsi à voir une version colorisée par la forme qu’à prise aujourd’hui la société, presque 350 ans après la création de la pièce.

Le contexte social est d’ailleurs le décalage le plus flagrant entre l’intention du texte et la mise en scène de Dimitri Klockenbring car l’argument dramatique repose à l’origine sur le fait que les personnages de Molière appartiennent à la cour et évoluent dans un monde de privilèges qui considère le travail comme dégradant et qui ne s’établit que sur l’héritage, l’entregent et la capacité à briller en société. Un dandysme officiel qui reste assez difficile à transposer à ce niveau de l’échelle sociale dans notre société où toutes les classes, même les plus élevées, se veulent industrieuses.

Grâce à une composition assez équilibrée entre cet anachronisme et l’interprétation consciencieuse du texte que les comédiens s’évertuent avec un certain succès à déclamer tout en le déjouant, on embarque donc pour une croisière entre deux rives. D’un côté, la langue splendidement ourlée mais toujours hautement descriptive et narrative de l’auteur, et d’un autre, les démonstrations psychologiques d’un narcissisme en souffrance, figure récurrente de la dramaturgie de notre époque.

Dimitri Klockenbring et toute l’équipe artistique de ce spectacle ont projeté de chevaucher un des pur-sangs des temps passés pour le mener vers des horizons actuels. Il en résulte un spectacle assez soutenu et poursuivant une recherche originale, qui offrira à ceux qui ne connaissent pas l’œuvre de Molière une entrée accessible et “sympathique” (c’est-à-dire présentant des points communs avec soi-même), et à ceux qui la connaissent déjà l’occasion de la contempler une fois de plus, mais sous un jour différent, éclairant par un effet de contraste l’esprit du temps présent.

Le Misanthrope ou l’atrabilaire amoureux

De Molière
Mise en scène : Dimitri Klockenbring
Scénographie : Héloïse Labrande
Création lumière : Claire Gondrexon
Création son : Antoine Richard
Costumes : Thalia Rebinsky
Avec: Tristan Le Goff, Lorraine de Sagazan, Thomas Zaghedoud, Joséphine Mikorey, Pierre Buntz, Inès De Broissia, Romain Cottard, Nicolas Lumbreras, en alternance avec Dimitri Klockenbring

Du 1er février au 18 mars 2012
Du mardi au samedi à 21h30 – les dimanches à 15h

Théâtre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des champs 75006 Paris.
Métro Notre-Dame-Des champs – Vavin  – Raspail ou Saint Placide – Réservation : 01 42 22 26 50
www.lucernaire.fr

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