Critiques // Critique • « La Folie Sganarelle », trois pièces de Molière mises en scène par Claude Buchvald à la Tempête

Critique • « La Folie Sganarelle », trois pièces de Molière mises en scène par Claude Buchvald à la Tempête

Nov 19, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « La Folie Sganarelle », trois pièces de Molière mises en scène par Claude Buchvald à la Tempête

Critique de Djalila Dechache

Chaque création de la compagnie Claude Buchvald est un événement en soi. Elle présente « La Folie Sganarelle », trois courtes pièces de Molière (1662- 1673), peu montées et à fortiori montrées en triptyque, trois comédies charmantes au demeurant mais qui savent si bien devenir grinçantes sous l’œil et la plume acérés de leur auteur : « L’Amour médecin », « le Mariage forcé » et « La Jalousie du barbouillé ». Écrites entre 1660 et 1665, il les présenta au Roi (notamment « L’Amour médecin » et « Le Mariage forcé »), avec musique signée Lully et ballet.

Ce Sganarelle-là, nom à l’origine italienne, personnage issu de la commedia dell’Arte se montre tour à tour burlesque, grotesque et ridicule, cherchant à tout prix à défendre des valeurs morales, religieuses et sociales d’un autre monde, d’un autre temps. C’est autour de lui que s’articule la ligne de force de cette proposition artistique, si intelligemment revisitée par Claude Buchvald.
Confronté à la jeunesse, à l’amour et à plus fin que lui, il lui arrivera ce qui doit lui arriver : se faire éconduire à chaque fois et recevoir de ces raclées !

© Antonia Bozzi

« L’amour médecin » : Sganarelle ne veut pas marier sa fille

« Ah l’étrange chose que la vie ! dit Sganarelle, seul, dès son entrée en scène. La mort rajuste toute chose, ma femme est morte, si elle était en vie nous nous querellerions ! »
« Conseillez-moi pour ma fille, que dois-je faire ? » Cette jeune personne, Lucinde est toute alanguie, pleurniche, n’a plus goût à la vie, tape du pied capricieusement, se laisse dépérir… « Dis tes petites pensées à ton petit papa mignon ! » s’émeut Sganarelle qui n’a pas vu que sa petite fille est devenue une vraie jeune fille. Comme d’habitude en pareille circonstance, c’est la soubrette Lisette bien dégourdie qui va solutionner tout ça : « Elle veut un mari, un mari, un mari … » tonne-t-elle. Sganarelle, désemparé, entend les avis de la voisine, de la cousine : toutes deux sont trop intéressées par un héritage probable. On fait venir la Science à son chevet, soit quatre médecins, pas d’accord entre eux ni plus avancés en terme de diagnostic face à un tel état de tristesse.
Les entrées et sorties des comédiens s’effectuent, le plus naturellement du monde, de cour à jardin. La porte claque quand même souvent en courant d’air de mouvement et de pensée.
Lors du délibéré des scientifiques enfermés dans la maison transformée en cabinet scientifique, celui-ci s’habille de sons de toutes sortes, de lumières, s’agite, s’ébroue et pétarade pour traduire une magique transformation, née de la mise en commun de ces beaux esprits.
On trouve enfin un remède de la dernière chance, c’est l’Orvietan capable de venir à bout de toutes sortes de maladies. Comme « ce produit » inconnu vient d’Italie, c’est l’occasion de l’intermède musical chanté qui transforme la scène en cour des miracles avec gueux et éclopés venus tenter leur chance et leur guérison.

Mention spéciale pour Champagne, valet de Sganarelle à l’origine et qui sous la houlette de Claude Buchvald se transforme en petit félin, tout en cabrioles et « miaoux » silencieux. Il est tout en mouvement, s’étirant, se roulant par terre, montrant son joli minois , se relevant à chaque chute ou à chaque rabrouement des uns et des autres.
Hésitant entre un Gavroche moderne ou un poupin à tâches de rousseur et mèches blondes, à la peau si blanche et si lisse, on se surprend à s’attacher à ce personnage-mascotte.

© Antonia Bozzi

« Le Mariage forcé » : Sganarelle ne veut plus se marier

Dans la deuxième comédie, Sganarelle veut se marier à un âge où il devrait être sage parce que le mariage est une folie. Il change d’avis en cours de route, il ne veut plus épouser la jeune Dorimène qu’il a surpris en train de se faire un peu trop courtiser par un monsieur aux yeux brillants et à la moustache frémissante. Intervient alors le père, parfait maffieux sournois, lunettes de soleil, moustache virile, chaussures blanches et accent traînant et chantant du rital. Comme dans toutes les familles du sud, il s’y adjoint le fils tout aussi revanchard, chargé de régler le petit différend et donc de laver l’affront, l’humiliation causée à leur sœur. Toute cette partie vaut son pesant d’or !
Quant au Docteur aristotélicien Pancrace, après son numéro hautement savant, il a été applaudi en cours de spectacle ! Il nous laisse une phrase en forme de maxime : « D’où vient que ceux qui pensent bien sont aussi ceux qui parlent le mieux ».

Notons quelque curiosité propre à Molière : il met en scène deux égyptiennes au statut de diseuse de bonne aventure pour répondre à la question du cocuage de Sganarelle. C. Buchvald les présente façon “gypsies” dans sa création.

« La jalousie du barbouillé » : Sganarelle marié (et pas content, pourrait-on ajouter !)

Comme un prolongement de la deuxième pièce, ici Sganarelle, jamais content, cherche à se débarrasser de sa femme, Angélique qui ne lui fait plus à souper ni ne se conduit en bonne ménagère. Celle-ci veut vivre et s’amuser, aime la bonne chère et se promener avec des galants. Il songe à la tuer puis se ravise, il faut trouver un moyen moins compromettant. Une idée lui vient en voyant « Monsieur le Docteur qui passe par ici : il faut que je lui demande un bon conseil sur ce que je dois faire ».

© Antonia Bozzi

On retrouve trois personnages-types : le mari jaloux, la femme volage et le docteur.
Sganarelle en vraie tête de mule trouve encore le moyen de dire « que l’innocence est opprimée » en parlant de lui ! C’est qu’il n’ a toujours pas compris ce qui se passe et combien il refuse de bouger sa posture « mentale » pourrait-on dire.
La scène de fin montrant Sganarelle défait, en sueur, bras en croix puis bras ballant, las et bouche ouverte par tant de dépit, il fait vraiment peine à voir, donne une belle occasion à Champagne qui le rejoignant assis sur le bord de sa maison et soufflant sur la chandelle, signe le point ultime à la représentation. Et c’est très beau.

Pour conclure
La troupe de neuf comédiens s’empare des vingt neuf rôles que composent les trois comédies, c’est un bonheur total et on leur dit Merci ainsi qu‘à leur metteur en scène Claude Buchvald ! On est emportés, éblouis par tant d’intelligence, tant de simplicité, le naturel, tant d’ingéniosité des comédiens et de la manière dont ils ont été dirigés.
Au niveau du décor et de la scénographie, Claude Buchvald et son décorateur ont opté pour une simplicité extrême : un plancher de bois brun à quinze centimètres du sol environ et un élément, sorte de rectangle posé sur roulettes avec porte et persiennes pour représenter la maison et c’est tout.
Les costumes, maquillages et coiffures sont très réussis, jouent avec les physiques, les rôles féminins joués par des hommes, les situations, les accents, les attitudes, bref un festival de créativité.
Nous pourrions féliciter un à un les comédiens tant ils se sont amusés à jouer les registres que les rôles demandaient et nous dans le public, combien nous nous sommes régalés à les découvrir et à nous laisser emporter avec eux.
Sganarelle, divinement incarné par Claude Merlin, extraordinaire de légèreté, de justesse, d’amusement et d’agacement, nous transporte : triste, nous le sommes aussi, joyeux, nous le suivons. Nous ne pouvons rejeter Sganarelle ! C’est la rançon des grands comédiens : ils humanisent les rôles les plus ingrats.

C’est joyeux, c’est communicatif, ça virevolte avec des rebondissements, il se passe toujours quelque chose qui se traduit par de la danse, du chant, ça courtise à tour de bras, ça complote et invente stratagèmes et fanfaronnades pour sortie de crise !
Et ça nous fait du bien !

La Folie Sganarelle
L’Amour médecin, le Mariage forcé
et La Jalousie du barbouillé
De
: Molière
Mise en scène
: Claude Buchvald
Avec
: Benjamin Abitan, Laurent Claret, Cécile Dval, Régis Kermonrvant, Claude Merlin, Aurélia Poirier, Stéphanie Schwartzbrod, Céline Vacher, Mouss Zouheyri
Assistante à la mise en scène
: Amélie Armao
Scénographie
: Damien Shahmaneche et Lise Lendais
Costumes
: Sabine Siegwalt assistée de Anna Rizza
Lumières
: Paul Beaureilles
Création sonore
: Blaise Merlin
Chansons
: Benjamin Abitan
Direction technique
: Marc Labourguigne
Bastons
: François Rostain
Construction
: Olivier Migliore
Régie
: Gilles David, Yann Nedelec

Du 16 novembre au 11 décembre 2011
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie de Vincennes

Route du Champ-de-Manœuvre, Paris 12e
Métro Château de Vincennes puis Navette Cartoucherie – Réservation 01 43 28 36 36
www.la-tempete.fr

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