Critique Suzanne Teïbi

Le « pas de côté » du théâtre

Le parti pris de La culture du déchet est dérangeant. Le dispositif frontal et une interpellation directe nous laissent à penser que nous assistons à une sorte de conférence, quoique ponctuée par de nombreuses chansons. Mais l’objet théâtral est flou : l’analyse sociologique menée par une conférencière transportée par des mimiques, une « sur-diction », empreinte de pathos, nous éloignent de la force du propos. La présence d’une musicienne, aussi brillante et émouvante soit-elle, ne fait malheureusement qu’aggraver le pathos instauré par le mode de narration. Et c’est d’autant plus dérangeant que le choix n’est pas clair. Faux emportement, fausse hystérie, faux rire de la conférencière cohabitent mal avec la mise à distance présupposée par le dispositif conférence. La comédienne souligne, surligne, illustre ce qu’elle dit par son jeu, et, de fait, désamorce toute sincérité, et toute possibilité de restitution de la gravité du propos. Car le propos est très sérieux, urgent même. Et il mériterait à juste titre que le théâtre s’en empare pleinement, le prenne à bras le corps.

 Entendre la force du texte

Le texte est composé d’extraits de l’ouvrage Le présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire, du sociologue Zigmunt Bauman. Les analyses qu’il y développe sont alarmantes : « Alors que l’on se préoccupe depuis quelques temps déjà (mais sans prendre les mesures nécessaires) des conséquences sinistres des déchets industriels et domestiques en matière d’équilibre écologique et de la capacité autoreproductrice de la vie sur la planète, nous n’avons pas encore pris conscience des effets à long terme de la masse croissante du déchet humain sur l’équilibre politique et social de la coexistence humaine planétaire. » Zigmunt Bauman décortique le rôle que notre monde globalisé et ses acteurs fait porter aux étrangers, immigrés, exilés qu’il nomme « la part maudite de l’humanité ». Il nous interpelle sur le monde dans lequel nous vivons. Mais jamais le dispositif théâtral ne restitue toute la violence de notre réalité, car la brèche dans laquelle s’engouffre notre « conférencière » n’est pas juste, et parasite jusqu’à l’écoute et la compréhension du texte. Comment se positionner en tant qu’individu, comment recevoir la justesse du texte ? La tache est compliquée, car nous sommes ici les spectateurs d’une mascarade de conférence qui ne sait comment aborder honnêtement cette problématique qui la dépasse.

La culture du déchet

Mise en scène : Thierry Bédard
D’après le texte de : Zygmunt Bauman
Extraits du deuxième chapitre de l’ouvrage Le présent liquide. Peurs
sociales et obsession sécuritaire. Seuil / 2007
Traduction : Laurent Bury
Création Lumière et régie générale: Jean Louis Aichhorn
Régie son: Clément Rose
Composition : Emilie Lesbros
Avec : Mélanie Menu, Emilie Lesbros
Du 9 janvier au 13 janvier 2012
Du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 17h
Echangeur Théâtre
59, avenue du Général de Gaulle – 93170 Bagnolet
Métro Gallieni
Réservation : 01 43 62 71 20
www.lechangeur.org

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