Critiques // Critique • La Cie Dairakudakan à la Maison de la Culture du Japon : « Omamagoto »

Critique • La Cie Dairakudakan à la Maison de la Culture du Japon : « Omamagoto »

Nov 22, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • La Cie Dairakudakan à la Maison de la Culture du Japon : « Omamagoto »

Critique de Denis Sanglard

Dairakudakan, le grand vaisseau du chameau, est à Paris. Compagnie de danse butô, fondée voilà près de quarante ans par Maro Akaji, elle est peut être l’une des rares compagnies, avec celle de Carlota Ikeda, à demeurer ancrée dans les fondamentaux du butô, défini par Kazuo Ohno et Tatsumi Hijikata, ces deux figures fondamentales opposées et complémentaires et qui furent à l’origine de cette danse des ténèbres où le corps s’affranchit et ploie sous le poids de l’inconscient, d’une pensée archaïque qu’il ne maîtrise pas ou peu, loin de tout esthétisme formaté. Le danseur n’est qu’une ombre creuse qui s’emplit des émotions qui le traverse aussi fugaces soient elles. « Ankoku butô », danse des corps obscurs, fut l’expression de Tatsumi Hijikata pour définir cette danse qui se libère de tout carcan ou le corps, vivant paradoxe, s’affirme pour mieux disparaître. Soumis et en osmose avec la nature, mû par un monde intérieur qui grouille, c’est dans cette tension permanente que le butô cherche et trouve son mouvement et son énergie. L’homme apparaît dans toute sa complexité, son histoire, dépouillé et nu. C’est pourquoi chaque danseur chargé de sa propre histoire, de son propre paysage, porte en lui son propre butô. Le geste, la forme, sont libres, jamais imposés. Ils s’imposent d’eux-même. Le mouvement sera juste si le corps la sent juste. Pour Akaji Maro, le geste quotidien est source de danse. Chaque mouvement contient une forme, une matrice, qui est en est la source. Les émotions elles-mêmes ont une matrice que le danseur butô doit « transporter sans les casser ». Derrière chaque action quotidienne existe une gestuelle de laquelle la danse peut jaillir. Le corps est mû non de lui-même mais par des forces qui le dépassent, comme « bougé », sensible aux résonnances qui le traversent. Le danseur et l’espace sont vides, le vide est la seule réalité…

© Junichi Matsuda

Omamagoto, première des deux créations présentées, participe d’une initiative de Akaji Maro, intitulée « Kochuten ». Soit confier une chorégraphie à un des danseurs de sa compagnie. C’est Ikkô Tamuro, membre de la compagnie depuis 1998, aperçu également chez Nadj, qui propose un voyage onirique et fabuleux. Dans la grande tradition de Dairakudakan, où le grotesque le dispute au sublime, la farce au tragique. Un homme disparait emporté par deux poissons. Les Sanzo-Uo, poissons du fleuve Sanzu, équivalent de notre Styx. Deux messagers de l’autre monde qui lui proposent de revenir parmi les vivants à la seule condition qu’il retrouve une forme stable et ne sorte pas de l’enceinte sacrée où la métamorphose aura lieu. Au risque de rester entre deux mondes.

C’est une création d’une densité et d’une énergie inouïes. Où l’art de la métamorphose propre au butô prend une dimension insensée à l’image de Ikkô Tamuro dont les avatars successifs balbutient avant de trouver sa forme finale, splendide onagata, dans la grande tradition du Nô ou du Kabuki ici revisité comme un pied de nez. C’est une épopée humaine où le corps de chaque danseur porte, exacerbé, des lambeaux d’humanité, des oripeaux divins et une animalité féroce. C’est tout à la fois une farce immense et un conte merveilleux où le rire le dispute au tragique, l’imaginaire à la réalité. Il y a une joyeuse naïveté sous une gravité apparente. Les danseurs, culs par dessus tête, dansent comme on joue à jouer. Comme ses enfants qui se racontent une histoire et feraient comme si. Le si magique des métamorphoses. Corps déliés des femmes aux regards retournés, corps enfantins et grotesques des hommes, les corps sont habités d’une présence absolue et pourtant absents, étrangers à eux même. Loins, ouverts au monde et porteur d’un au-delà. Corps-mémoires traversés, creusés par le Temps. C’est une épopée humaine où le corps s’ouvre à ce qu’il a en lui de plus profond, de primitif. L’énergie sourde qui traverse le plateau emporte cette création dans des contrées que seul le butô permet d’approcher. La singularité des douze danseurs explosent et pourtant ils ne font qu’une masse, amas bouillonnant et explosif, entraînée dans un rituel sauvage, une danse macabre qui finit dans un éclat de rire. Ikkô Tamuro danse la réalité qui vacille, le point de rupture où tout bascule et nos rituels qui conjurent cette fuite d‘une réalité sans doute illusoire. Image incroyable de voir ce danseur soudain se frapper pour éprouver, constater son existence… avant que de basculer dans le néant. Ommagoto tient tout à la fois du Mystère et de la messe des fous. La trame mythique importe peu. Les mythes sont universels. Ce qui est là, essentiel, c’est la transe qui révèle la fragilité de l’humain, le dérisoire et la force d’une vie. La réalité d’une illusion ou l’illusion d’une réalité. En brouillant nos repères, Ikkô Tamura nous invite à une formidable traversée des apparences. Un aller simple dont le spectateur ne sort pas indemne.

Hai no hito – L’homme de cendre – sera la seconde création présentée à la Maison de la culture du japon (du jeudi 24 au samedi 26 novembre). Chorégraphiée et interprétée par Maro Akaji accompagné de 16 danseurs. L’occasion de découvrir ce danseur exceptionnel, peut être le plus excentrique des danseurs butô…

Ikkô Tamura et Akaji Maro ren­contre­ront le public après leur spec­ta­cle les 18 et 25 novem­bre.

Compagnie Dairakudakan

Omamagoto
Chorégraphie, interprétation : Ikkô Tamura
Direction artistique : Maro Akaji
Pièce pour douze danseurs
Du jeudi 17 au samedi 19 novembre 2011 à 20h

Hai no hito
Chorégraphie, direction artistique et interprétation : Maro Akaji
Pièce pour 16 danseurs.
Du jeudi 24 au samedi 26 novembre 2011 à 20h

Maison de la Culture du Japon
101 bis quai Branly, Paris 15e
Métro Bir Hakeim – Réservations 01 44 37 95 95
www.mcjp.fr

www.dairakudakan.com

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