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Critique • « La Botte secrète », opéra bouffe de Claude Terrasse au Théâtre de l’Athénée

Déc 27, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « La Botte secrète », opéra bouffe de Claude Terrasse au Théâtre de l’Athénée

Critique de Djalila Dechache

Opéra bouffe de Claude Terrasse, livret de Franc-Nohain, direction musicale Christophe Grapperon, mise en scène Pierre Guillois avec la compagnie Les Brigands à l’Athénée

Tout est mystérieux dans cette affaire, le titre, le genre, le nom des compositeurs, des auteurs, du chef d’orchestre, du metteur en scène, la distribution totalement inconnue. Pourquoi se rendre à un tel spectacle alors ? Pour ces motifs précisément, et la curiosité, et l’envie, la prise de risque toute relative il est vrai ! Il faudrait pouvoir se hasarder plus souvent vers l’inconnu, on y apprend toujours beaucoup de choses.

Tout vient d’Offenbach (1819-1880) qui dirige le théâtre des Bouffes Parisiens en 1855, crée le terme afin de faire une distinction entre l’opéra-comique qui traite de sujets sérieux, l’opéra bouffe de sujets comiques tandis que l’opérette s’appuie sur un livret de facture sentimentale.
Dans le Paris de la Belle Époque, Claude Terrasse (1867-1923) formé à la célèbre école Niedermeyer comme Fauré, Saint-Saëns et Messager en digne héritier d’Offenbach, est le grand compositeur bouffe du XX ème siècle. « La Botte secrète » opérette burlesque, un tantinet gaillarde, scelle son amitié sûre avec Franc-Nohain (1872-1934). Ce dernier, en avocat de formation et homme de culture accompli, était sous-préfet, librettiste, écrivain, poète et considéré par la presse de l’époque comme « l’un des plus spirituels et des plus délicats des fantaisistes » qui prend dans le dictionnaire en 1865 le sens noble de celui « qui suit son imagination » comme le ferait un peintre ou un écrivain.

© Yves Petit

Le spectacle est composé de deux parties. La première « La botte secrète » traitée façon années 1970, puis immédiatement s’ensuit la seconde partie, sans titre apparent si ce n’est un « suivie d’une revue surprise », l’ensemble étant proposé à l’occasion des dix ans de la compagnie Les Brigands.

Une botte de sept lieues ?

Comme c’est un opéra bouffe en un acte avec ses codes, ses conventions et son rythme, l’orchestre est dans la fosse, c’est lui qui entre en scène en premier et les instrumentistes s’accordent et se règlent sous la houlette du chef d’orchestre. L’exposition musicale débute, donne le ton pourrait-on dire et boucle le morceau dans une ambiance grandiloquente.
Dans un décor très moderne style comédie musicale et cinéma sur deux plans, on voit par le soupirail des paires de jambes d’hommes et de femmes circuler dont la coquetterie est éloquente.
Les personnages viennent de l’extérieur par un escalier et son rideau à franges, en colimaçon pour atterrir dans un magasin de chaussures, où une demoiselle de magasin se fait enlever par un client en état amoureux avancé. Cet enlèvement passe pour une chose des plus naturelles qui soit pour son patron Mr Edmond. Cette scène est assez réussie parce qu’elle est courte et traitée en cinéma muet avec sa gestuelle particulière.
Le spectacle et l’enquête commencent lorsqu’un couple princier, style nouveau riche, est en proie à une grave question quasi-existentielle : le mari, un prince hurluberlu à l’accent indéfinissable à l’ascendance terrienne vague, veut éclaircir le mystère de celui qui, lors des festivités du 14 juillet, lui aurait donné un coup de pied bien placé dont il porte la trace sur le pantalon.
Ils chantent tous, chacun leur tour ou en chœur : « Que ce soit du daim, du veau, du chevreau, de la vache, c’est toujours de la peau ». La représentation est ainsi ponctuée de saynètes auxquelles, la musique, le chant, la beauté des voix mais la trivialité des paroles apportent fantaisie et augmentent la drôlerie des situations. Il faut se mettre dans le contexte de « La Botte secrète » qui créé en 1903, est jouée sur la scène des Capucines tout près du théâtre de l’Athénée Louis Jouvet.

La princesse Nathalie, sa femme, une bien jolie personne finit par s’éprendre de cet inconnu, dont elle garde le souvenir d‘attouchements furtifs enivrants, chaussant au vu de l’empreinte très nette, au moins du 70 d’après le directeur du magasin de chaussures. Des proverbes de « leur pays » s’inventent à tours de bras plus ou moins farfelus du style : « Celui qui frappe par le pied, périra par la main ! ».
Le prince veut acheter le magasin de chaussures pour être sûr de retrouver le malfaiteur et il traite l’affaire « à l’américaine ». C’est intéressant de noter la fascination pour ce qui vient d’outre-atlantique, déjà entrée dans le langage.
Comme la demoiselle du magasin n’est plus là, c’est la femme qui joue à la vendeuse, elle « tombe » par un effet scénique sur les bottes en question et comprend que l’homme qui chausse du 70 au moins, que « cet homme-là doit savoir aimer ! » dit-elle. Le dénouement fait que « le traître est démasqué » et « le pied a livré son secret » : Quelle étrange remarque ! Le pied est donc sujet à part entière de fantasmes, de délires, d’attraction, de symboles, de face cachée, d’opulence grivoise voire plus !
Si l’on devait analyser le champ sémantique du texte, tout y parle de libido et de sexualité. Le metteur en scène l’a saisi dans ce sens avec les attitudes, les poses, les situations, les insinuations, l’inflexion des voix, sans oublier les modulations étudiées de la musique.

© Yves Petit

Personne ne reste à sa place dans la société de l’opéra bouffe.

Encore un point étonnant à noter, la bourgeoise se met à la place de la demoiselle de magasin, l’égoutier veut devenir un homme élégant, le prince traite à l’américaine, la demoiselle de magasin se fait enlever par un séducteur…
Pour mieux apprécier les enjeux du genre, il faut être là, lors de la représentation pour voir combien toute la troupe y compris l’orchestre s’agitent, vont et font des envolées lyriques des dialogues parlés et chantés en solos, duos, trios ou plus, les ressorts de la comédie sont présents et ils chantent tous avec des voix professionnelles qui en mezzo-soprano, qui en ténor ou baryton, sur des textes plats du quotidien comme : (Elle) « Donnez-moi votre pied gauche ». (Lui) « Elle me demande mon pied gauche« . Pour ensuite chanter en chœur :« Pour être bien chaussé ».
Il est ensuite question d’un égoutier en bleu de travail, casque et loupiote au front « dégoutté des égouts, il n’a plus goût à rien », c’est tout dire, il veut changer de statut et « aller dans le monde » depuis qu’une certaine nuit d’été (entendez un certain 14 juillet !) il a été ensorcelé par des effluves d’opoponax et de musc, rien que cela ! Suivez le regard et le clin d’œil, de qui s’agit-il ?
Ses bottes de caoutchouc, il les troque contre des chaussures vernies noires atrocement douloureuses à porter. « Je ris de me voir si beau en ce miroir », « je me sens déjà meilleur, il me semble que j’ai des ailes » dit -il!
La force de l’apparence y compris chez les hommes, passerait par la chaussure qui indique la place d’un homme en société. Un client venu chercher une paire de bottines se met à frétiller, en boucle, sur l’air de : « Toutes les femmes ont la manie de courir dans les bijouteries, les pâtisseries, les épiceries, les merceries, les pharmacies, les lingeries… ». En voilà un connaisseur !

La France de la Belle Époque et de la troisième république.

Difficile de ne pas faire le lien avec ce grand magasin « Au Bonheur des Dames » du Paris de 1900, pour être précise, 1887, et de penser à la peinture sociale d’Octave Mirbeau dans son œuvre littéraire.
On ne nous épargne aucun lieu commun, c’est qu’il fallait sans doute faire participer le public et que ce même public reprenne ensuite les airs et phrases retenues, retrouvés le lendemain dans les journaux, donc dans la rue. Nous sommes dans le Vaudeville, le spectacle bourgeois le plus réaliste avec le trio infernal la femme, le mari et l’amant, qui a sévit des années durant et sévit encore sur la scène parisienne pour faire loi.
Il n’y a pas loin à visualiser monde et sa hiérarchie sociale et économique, les baignoires et les loges de ces magnifiques théâtres, réservés à ceux qui ont le pouvoir, l’argent et qui applaudissent, le peuple au paradis ou au poulailler c’est-à-dire niché tout en haut de l‘édifice, et au parterre, le public au fil du temps debout puis assis, ceux qui sifflent avec les grisettes, les femmes entretenues, rendant immédiate la participation du public.
C’est que la Belle Époque est une période déterminante mine de rien (de fin XIXe à 1914), elle a fait jaillir une foi irrépressible dans le Progrès et un foisonnement artistique, littéraire, technologique, de refonte urbaine, faisant de Paris une capitale totalement rénovée qui connaîtra un essor considérable. Ses Expositions Universelles de 1889 et de 1900 la qualifient de Ville Lumière et pour son héritage des siècles passés et pour son empire colonial qui va donner naissance à une bourgeoisie citadine victorieuse.

© Yves Petit

Compliments à l’ensemble de la troupe et de l’orchestre, compliments particuliers à l’artiste lyrique qu’est Diana Axentii, mezzo-soprano, lauréate du concours international Reine Elisabeth de Bruxelles en 2004, qui a tout pour elle : une voix extraordinaire aux variations multiples, une beauté et un physique avantageux, pleine de vivacité, une présence toute en élégance, un jeu de scène convaincant, drôle, espiègle et sérieux quand il le faut.

La revue : un pot-pourri, pourrait-on dire, à travers les siècles.

La seconde partie du spectacle commence quasiment en catimini, tandis que les comédiens saluent, un dialogue entre le prince et le chef d’orchestre relance la deuxième partie. C’est une revue menée tambour battant avec un programme de chants et de danses, de costumes, de paillettes comme un pot-pourri pourrait-on dire à travers les siècles.
Ils chantent tous ensemble, ceux de « La Botte secrète » plus un groupe de femmes aux physiques très différents les uns des autres.
Le thème est encore autour des demoiselles de magasin, du paraître, de la clientèle et du comment accélérer les ventes, faire craquer le client qui face à une belle plastique, cédera sans aucun problème. Dans ce registre, on est limite- limite, on vante que « la toilette de la femme est la moitié de la beauté », voyez-vous cela ? L’apparence, toujours l’apparence… Les « filles » se rebellent et crient leur vraie nature, leur intérieur sensible, authentique et tralala.
Dans cette partie, il n’y a pas de dialogues parlés, tout est chanté comme pour finir en beauté et donner un cadeau surprise au public qui, survolté ce soir-là a eu droit à un rappel et un morceau supplémentaire.

En voyant la distribution extraordinaire et longue de ce spectacle, la recherche que cela a pu susciter en amont, les accords à trouver, les corps de métiers, ces savoir-faire, tout ce génie artistique, dans ce lieu de l’Athénée Louis Jouvet en particulier et son personnel si attentif, il y a de quoi se dire que c’est une grande chance d’être là, de pouvoir vivre tout cela.
Ce fut donc une soirée riche en rebondissements pour nous aussi, découvrir l’opéra bouffe a été une sacrée aventure où le rire est roi.

Pierre Guillois est un metteur en scène touche-à-tout. Après avoir dirigé « Le Théâtre du Peuple » de Bussang, il co-écrit et met en scène « Sacrifices », un solo avec Nouara Naghouche et met en scène un peu plus tard « Abu-Hassan » de Weber. Une opérette barge portant sa signature « Le gros, la vache et le mainate » avec Pierre Vial de la Comédie Française notamment, qui est en tournée en 2012 et qui le conduira au Théâtre du Rond-Point des Champs Elysées en février et mars prochain.
Une bien belle palette de son travail artistique, faite de culture et d’émotions.

La Botte Secrète
Opéra bouffe en un acte, représenté pour la première fois au théâtre des Capucines, à Paris le 27 janvier 1903.
De : Claude Terrasse
Livret : Franc-Nohain
Mise en scène : Pierre Guillois
Avec : la compagnie Les Brigands
Orchestration : Thibault Perrine
Scénographie : Florence Evrard
Lumières : Christophe Forey
Costumes : Axel Aust, assisté de Camille Pénager
Chorégraphie et assistantanat à la mise en scène : Stéphanie Chêne
Maquillages et coiffures : Catherine Nicolas
Avec : Diana Axentii, Christophe Crapez, Vincent Deliau, David Ghilardi, Vincent Vantyghem
Et la participation exceptionnelle de douze artistes qui ont participé à une ou plusieurs productions de la compagnie fondée en 2001 : Anne-Lise Faucon, Léticia Giuffredi, Emmanuelle Goizé, Estelle Kaïque,Isabelle Mazin, Lara Neumann, Charlotte Plasse, Camille Solosse, Muriel Souti, Jean-Philippe Catusse, Gilles Favreau et Olivier Hernandez.
Instrumentistes : Nicolas Ducloux (piano et chef de chant), Pablo Schatzman/Claire Sottovia (violon), Laurent Camatte (alto), Vérène Westphal/Annabelle Brey ou Marlène Rivière (violoncelle), Nicolas Crosse/Simon Drappier (contrebasse), Boris Grelier (flûte et picolo), François Miquel/ Christian Laborie (clarinette), Yannick Mariller (basson), Takenori Németo/Pierre Rémondière/Sébastien Mitterrand (cor), Vincent Mitterrand/André Feydy (trompette), Eriko Minami (percussions)
Construction de décor : Atelier du Théâtre musical de Besançon,Atelier du CDN Besançon
Peinture du décor : Ludmila Volf et Armando Teixeira
Élaboration des costumes : Sylvie Ryser et Camille Pénager

Du 16 décembre 2011 au 8 janvier 2012
Du mercredi au samedi à 20h, les 20 et 27 déc. à 19h, le 8 jan. à 16h.

Athénée Théâtre Louis Jouvet
Square de l’Opéra Louis Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris 9e
M° Opéra, Havre-Caumartin — Réservations 01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com

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