Critiques // Critique • « Krapp’s Last Tape » de Samuel Beckett, mise en scène Robert Wilson à l’Athénée

Critique • « Krapp’s Last Tape » de Samuel Beckett, mise en scène Robert Wilson à l’Athénée

Déc 06, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Krapp’s Last Tape » de Samuel Beckett, mise en scène Robert Wilson à l’Athénée

Critique de Dashiell Donello

Un coup de foudre pour la mise en scène d’un Robert Wilson fascinant.

C’est en Anglais que Samuel Beckett (1906-1989) a écrit, en 1958, « Krapp’s last tape » traduit ensuite en français sous le titre « La Dernière Bande ». Robert Wilson joue et signe une mise en scène singulièrement fidèle et subtilement autre. On peut lire dans le texte « Cap au pire » les mots qui résonnent en écho avec cette pièce d’une dualité passée et présente : « Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore« . Oui, Krapp réécoute et enregistre encore et encore la confrontation de ses souvenirs avec cet homme qu’il fut trente ans plus tôt.

© Lucie Jansch

Tout est écrit par Beckett. Tout est joué par Wilson.

Un coup de foudre lève le rideau de scène. Une pluie de lumière danse au son des gouttes. Seul, dans la nuit, habillé d’obscurité, un homme, tel un spectre, apparaît dans une fraction d’éclair. C’est Krapp, soixante-dix ans. Il enregistre au magnétophone les pensées d’une année écoulée. Il réécoute aussi, trente ans après, de vieilles bobines enregistrées. Il dit sans mâcher ses mots : « Viens d’écouter ce pauvre petit crétin pour qui je me prenais il y a trente ans, difficile de croire que j’aie jamais été con à ce point-là. » Cette voix du jeune crétin qu’il dit avoir été, il l’entend dans ce présent de solitude. Mais cette voix est bien la sienne, elle nous parle d’une femme trop hâtivement délaissée parmi les roseaux où une barque s’est coincée. Krapp d’hier et Krapp d’aujourd’hui se racontent sur la bande, à regret de la chose qu’on ne connaît qu’avec le temps qui passe.

© Lucie Jansch

Est-ce pour fêter ses soixante-dix ans en compagnie de Krapp, qui lui aussi a atteint cet âge, que Robert Wilson a mis son plus bel habit d’acteur ? Maquillé de blanc, à la façon d’un Buster Keaton qui sortirait d’un film d’Ozu adapté d’un roman d’Orwell, Wilson danse les mots de Beckett sur les notes noires et blanches d’une partition, où, il interprète librement les contraintes Beckettienne. Son jeu non réaliste donne à Krapp la grâce d’un acteur kabuki. Ce qui est fascinant dans la mise en scène de Robert Wilson, c’est cette façon d’éluder avec fidélité les fameuses didascalies de Beckett. Enfin ! Oserait-on dire. Car, on ne peut décrire ce moment unique d’une fratrie qui lie l’homme de théâtre au grand dramaturge. Seule la mort est perfection dans le théâtre de Beckett ; c’est pourquoi, on dira humblement que Wilson l’a frôlée d’une caresse respectueuse, de la scénographie à la conception des lumières ; cela va des bananes célestes au son de la dive bouteille en coulisse, en passant par les très hautes fenêtres en clin d’œil à « Fin de partie », jusque aux chaussettes rouges de Krapp qui transgressent le noir et le blanc d’une lumière sublime (AJ.Weissbard) qui donne à rêver l’invisible. Le jeu de Robert Wilson est semblable à celui de Charlie Parker quand il joue de la voix avec son saxophone ; sa voix va de l’aigu d’un cri de ténor à la voix grave d’un acteur Shakespearien. On aime le metteur en scène, et on adore le comédien qu’on aimerait voir le plus souvent sur scène.

Pour paraphraser Beckett on pourrait dire : « avec ces deux grands artistes, que sont Beckett et Wilson, on se sent de moins en moins seul ». Tout est écrit par Beckett. Tout est joué par Wilson. Nous vivons dans le même temps que leur art de l’extrême. Nous sommes fascinés, et allons nous aussi à l’extrême. Nous sommes dans l’intérieur de la situation à l’écoute de l’instant fascinant, au summum du grand théâtre. Merci et bon anniversaire Monsieur Wilson !

Krapp’s Last Tape
Texte : Samuel Beckett
Mise en scène et interprétation : Robert Wilson
Costumes et collaboration à la scénographie : Yashi Tabassomi
Lumières : AJ.Weissbard
Son : Peter Cerone
En anglais surtitré

Du 2 au 8 décembre 2011
Du mercredi au samedi à 20h, matinée le samedi à 15h, le mardi à 19h

Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Square de l’Opéra Louis-Jouvet, 7 rue Boudreau, Paris 9e
M° Opéra, Havre-Caumartin – Réservations 01 53 05 19 19
www.athenee-theatre.com

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