ƒ Critique de Denis Sanglard
©Marc Domage
Le bunraku, théâtre de marionnettes japonais, où les personnages sont manipulés à vue et le récit joué -sinon surjoué- par un unique acteur au son du shamisen qui souligne l’état émotionnel de chacun des protagonistes de l’histoire, le bunraku donc inspire à Fanny de Chaillé une étrange création hybride sur l’art du théâtre et du comédien. Partant donc de ce principe et bousculant les codes afférents elle remplace la marionnette par un danseur qui sera tour à tour manipulé ou manipulateur. Le récitant lui-même sera bientôt happé dans cet étrange ballet, manipulé à son tour, secoué fortement même. Au son non du shamisen mais du ukulélé ou le musicien se fait également bruitiste, quand il n’intervient pas directement dans le récit. Et quel récit ! Loin du conte et de la légende -bunraku obligerait- Fanny de Chaillé s’empare de Minetti de Thomas Bernhard, méditation sur le comédien et son art.
Lier le geste et le texte autrement
Créer une image singulière nourrie d‘un art étranger rêvé, la proposition est forte sinon audacieuse, volontairement contradictoire, mais ne tient pas toute ses promesses. Si les propositions s’emboitent, s’enchaînent, l’exercice de style tourne très vite en rond. Sans doute que le support, le texte, ne permet pas d’aller dans le sens de la proposition initiale. Texte réflexif, introspectif qui ne porte pas en soi de mouvements larges, un espace ouvert, une progression dramatique épique qui supporte difficilement le jeu volontairement surligné du récitant. L’espace de Minetti, le personnage, est avant tout un espace mental. Ce qui oblige ici à un mouvement en complet décalage. Ce déplacement, ce frottement assumé entre deux espaces étrangers- tant mentaux, géographiques ou culturels- pourrait être porteur d’un ailleurs théâtral mais porte en lui ses propres limites. Très vite cela s’épuise. L’intelligence de Fanny de Chaillé est d’introduire alors d’autres propositions japonaises. Ainsi soudain avons-nous un exposé sur l’art de l’origami, ou comment ici plier un acteur en quatre. Il y a certes beaucoup d’ironie dans ces parenthèses, comme dans l’ensemble de cette création du reste. Nul doute que dans cet exercice, et c’est ce qui intéresse Fanny de Chaillé, c’est toute la mécanique de l’art qui est dévoilé. Une mise à nue de l’illusion théâtrale, un dévoilement. Une mise à plat ou pour reprendre l’exemple de l’origami, l’art du pli explicité ici déplié. Mais cela ne suffit pas à faire décoller l’ensemble de la proposition. Nous restons dans des intentions de mises en scènes, une réflexion sur un imaginaire, un fantasme japonisant. Ce que Fanny de Chaillé revendique crânement. Le bunraku devient ainsi un objet folklorique, exotique et dévitalisé. Un ailleurs incompréhensible dont il faut se débarrasser comme s’il encombrait soudain. La fin de cette courte création porte cet échec. Manipulateurs, manipulés, musicien disparus, le récitant redevient acteur, seul, au centre du plateau.
Je suis un metteur en scène japonais
Fanny de Chaillé
Texte « Minetti » de Thomas Bernhardt, éd. L’Arche
Scénographie Nadia Lauro
Musique Manuel Coursin
Lumière Yannick Foussier
Avec Guillaume Bailliart (acteur), Christine Bompal, Tamar Shelef, Christophe Ives, Olivier Normand (danseurs)Jusqu’au 21 décembre 2012
Lundi, mardi, vendredi et samedi à 20h – Jeudi à 19h – Relâche mercredi et dimancheThéâtre de la Cité Internationale
17 boulevard Jourdan 75014 Paris
RER : Cité universitaire
Réservations 01 43 13 50 50
http://www.theatredelacite.com/