ƒƒ Critique Anna Grahm
Bienvenue en terre de Rablaisie
Il y a du Charlot dans l’homme qui vient de surgir sous les voûtes de l’Essaïon. Il s’appelle Charles. Charles de Pombrian. Dit le gentil. Il habite seul en pleine campagne dans sa fermette pile en face du château de ses ancêtres qui n’est plus le sien aujourd’hui. Qu’importe, l’homme qui a perdu son château est optimiste. Il nous emmène dans la cour d’honneur pour nous faire découvrir le cadre exceptionnel de sa belle région de Touraine. Il nous fait déguster son vin, un petit Chinon qui le rend amoureux de Mariette. Et il parle. D’elle et de lui, du coq et des poules, de l’abbé Dusseix et de ses ouailles, de ses vieilles pierres, de son psychanalyste. Il raconte Monsieur le comte facétieux, son amour du beau, de la bonne chère et de Chopin. C’est un rieur débonnaire, dérisoire parfois, volontairement dévoué, viscéralement attaché à sa terre.
L’alcool de prune qu’il engloutit le rend volubile et n’altère nullement son esprit critique et l’amateur des produits du terroir n’hésite pas à fustiger la culture Coca-Cola et hamburger, la vacuité de ceux qui vivent pour la consommation. Car il a beau tirer le diable par la queue, notre formidable conteur ne s’en laisse pas conter. Au contraire il dénonce les faux semblants, les faux résistants sous l’occupation, pointe les trompe-l’œil qui affectent notre regard, trop souvent trop court. Et le voilà qui s’amuse à distiller des anecdotes croustillantes dans la chambre à coucher et voilà qu’il nous fait rencontrer l’ombre des personnalités auxquelles il aurait dû ressembler.
« Un se divise en deux. Deux fusionnent en un » Guy Debord
Dans le spectacle de Jean-Michel Meunier, il y a deux visites en une. Et si, par quelques détours mystérieux, il nous embarque dans la sienne, celle de sa propre introspection, il n’oublie pas de partager avec nous quelques secrets de l’auguste demeure de la Renaissance qui lui a jadis appartenu. Car Jean-Michel Meunier est ici à la fois l’auteur et l’interprète de cette histoire à double fond: il est à la fois l’ancien maître des lieux et le nouvel esclave moderne, il est, à l’image de ces paysans Tourangeaux, solitaire et souffrant, tout en étant l’incarnation de la pudeur. Et c’est les pieds sur terre, bourré de joie de vivre que son désespoir comique parle vrai, corrige, console, ‘ravigote’, notre désespérance commune. Et si sa bonne humeur tente de masquer ses blessures, notre amoureux fou de Mariette s’accroche au langage pour revisiter cette difficulté qu’on a tous d’être heureux.
Généreux humaniste, poète, Jean-Michel Meunier, sous la houlette d’Hervé Dubourjal, va déployer tout son talent pour tâcher de reconquérir celle qui le fuit depuis trop longtemps. L’amour nous dit-il ‘allonge les distances et suspend le temps’. Mais au-delà de la quête d’amour, ce que nous propose ici ce drôle d’oiseau moqueur est un subtil voyage au pays de la dialectique.
J’ai bêtement perdu Mariette à cause d’un sanglier qui aimait Chopin
De et avec Jean-Michel Meunier
Mise en scène d’Hervé Dubourjal
Jusqu’au 15 juin – Du jeudi au samedi à 20h
Théâtre Essaïon
6 rue Pierre au lard 75004 Paris
Métro : Rambuteau
Réservation : 01 42 78 61 73