Critiques // Critique • « Finnegan’s Wake » d’après James Joyce, mise en scène Antoine Caubet à l’Aquarium

Critique • « Finnegan’s Wake » d’après James Joyce, mise en scène Antoine Caubet à l’Aquarium

Jan 24, 2012 | Un commentaire sur Critique • « Finnegan’s Wake » d’après James Joyce, mise en scène Antoine Caubet à l’Aquarium

Critique de Anne-Marie Watelet

Finnegan renaît / ressuscite chaque soir au Théâtre de L’Aquarium grâce à une jouissive mise en scène du récit éponyme de Joyce (le 1er des 17 chapitres). Pour sa dernière œuvre publiée en 1939, moins de deux ans avant sa mort, il part dans une joyeuse folie de mots, sur les traces de l’Histoire de l’humanité. Point de départ : Finnegan, un maçon dublinnois, tombe dead-mort de son échelle ; la trame narrative, c’est la famille Finnegan. Apparemment, aucun rapport avec le reste du récit (quelque 800 pages). Et pourtant. De Finnegan, les lieux et l’histoire de Dublin, de Dublin l’Histoire du monde jusqu’à nous; s’arrêtant sur les premiers signes de l’écriture et sur les langues – « les babéléniens », sur le péché originel, évoquant des héros mythiques. Et la Liffey, la rivière qui traverse toute la ville, c’est la Parque de cette épopée: « Je te reconnais ma Parque de salut ! » Finalement, toutes les figures ressurgies du monde, les amis de Finnegan, veillent son cercueil jusqu’à ce que son corps s’envole pour planer au-dessus de Dublin.

© Hervé Bellamy

Bien plus qu’une histoire, c’est une langue inventée : c’est « garanti pur Joyce », dit-il avec humour !
Pour embrasser toute cette matière, l’auteur d’Ulysse s’est fait plaisir. II a tout mêlé (époques, cultures etc…) et charrié des dizaines de langues – on entend aussi du grec et du latin. Le tout dans un tournoiement de mots tronqués, télescopages syllabiques, associations extravagantes de noms, mais allusives, mots-valises et autres jeux de langage tant sonores que lexicaux. Déconcertantes, cette création de mots et les phrases gonflées de sens par une recherche savante, ou simplement poétique ! Et comment suivre?

Cette eau qui est aussi Anna l’épouse de Finnegan, les sombres méandres de sa chevelure ; et comme toutes les femmes, source de la vie.

« Si vous avez des difficultés [pour comprendre], essayez de le lire à haute voix… » répondait Joyce aux reproches qu’on lui adressait.
Et en effet, ce texte, certes déroutant voire muet pour le lecteur, se révèle dès lors qu’il passe par la voix, le corps, les matières, et dans un espace scénique. C’est ce qui nous est offert ici. Un conteur-comédien, un pantin (Finnegan), sur une petite piste (cirque ou arène) composée de copeaux de liège laissant furtivement apparaître des traces de mots.
Antoine Caubet a conduit avec intelligence le comédien Sharif Andoura, qui donne vie et sens atout au long du spectacle.
D’abord le mémoriser impliquait dit-il, de le « transférer » en soi, de chercher des échos personnels, d’imaginer à partir de ça. Il a su, et avec un naturel savoureux, dégager la légèreté et l’humour inhérent au récit, tout en manipulant le pantin de temps à autre. Coïncidence heureuse: son visage, ses cheveux, correspondent à l’image que l’on a de l’Irlandais-type ! Jamais statique, mais usant de son corps souple avec une subtile économie, son jeu et sa gestuelle sont très nuancés. Essentiel: il déploie les phrases et les sonorités nouvelles dans un rythme adapté qui exalte le texte, en restituant son sens. Le ton met en valeur ce qui doit nous faire réagir. C’est, comme pourrait écrire l’auteur, émerveillant !

© Hervé Bellamy

La scénographie nécessaire au spectacle.
Musique, piste circulaire où se joue le comédien, images du film… Cela nous porte de façon convaincante dans un univers tantôt tellurique, tantôt cosmique.
Au fond du plateau est projeté un film où l’on voit s’écouler lentement la rivière, en noir et blanc. Ce plan-séquence étiré donne la mesure du spectacle et du récit. Le paysage change imperceptiblement, avec une lenteur extrême ; l’image est mélancolique, onirique, comme celle ensuite, qui nous ouvre les cieux avec des teintes sombres en dégradés de gris et de bleu. Et cela ne “jure” pas avec certaines paroles joyeuses du conteur. L’eau constitue ici la matrice symbolique du récit : la femme éternelle, la femme de Finnegan, les méandres de sa chevelure, la source de la vie. Les notes de musique discrètes – la harpe, le violon – égrènent la temporalité de ce rêve, et nous enchantent. La lumière blonde s’assombrit peu à peu ; la voix du fils de Finnegan se fait entendre: « Je m’éteins. O fin amère. (…) Père appelle. J’arrive Père. Ci la fin. Comme avant. Finn Renaît ! Prends. Hâte-toi, enmemémore-moi…. » Et le père de renaître ailleurs, et le fils d’emporter le souvenir.
Finnegan et Anna sont l’humanité, si l’on veut ; hommes et femmes laissent leurs traces de vies, des « fossilités de passage », dont ce livre est l’écho.

Finnegan’s Wake
D’après : James Joyce
Traduction : Philippe Lavergne ( Éd. Gallimard, 1982)
Mise en scène: Antoine Caubet
Avec : Sharif Andoura
Lumière : Antoine Caubet, Pascal Joris
Son : Valérie Bajcsa
Film : Hervé Bellamy
Le pantin : Cécile Cholet
Costume : Cidalia Da Costa assistée d’ Anne Yarmola
Régie plateau : Yunick Vaimapatako
Violon : Louis-Marie Seveno

Du 17 janvier au 19 février 2012
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h

Théâtre de L’Aquarium
Cartoucherie de Vincennes

Route du Champ-de-Manœuvre, Paris 12e
Métro Château de Vincennes puis Navette Cartoucherie – Réservations 01 43 74 99 61
www.theatredelaquarium.com

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