Critiques // Critique. “Fin de partie” de Samuel Beckett à la MC93

Critique. “Fin de partie” de Samuel Beckett à la MC93

Mar 27, 2013 | Aucun commentaire sur Critique. “Fin de partie” de Samuel Beckett à la MC93

ƒƒƒ Critique Jean-Christophe Carius

© DR Fin de partie Phili#1DD1DCD

Le dénouement de la finitude

Deuxième pièce de théâtre écrite par Samuel Beckett, « Fin de partie » fut créée en français en 1957, au Royal Court Theatre de Londres. La pièce suit la création d’ « En attendant Godot », premier succès de cet auteur, âgé alors de 47 ans. Cette réussite fut si grande et si inattendue que Beckett pensa qu’une forme de divertissement marquait encore son écriture scénique et qu’il lui fallait s’en départir. C’est ainsi qu’il aborda sa deuxième pièce avec une volonté accrue d’intégrité artistique. L’expression « Fin de partie » évoque une phase des échecs dans laquelle le nombre de pièces devient si réduit, le dénuement si grand, que les stratégies de jeu et les valeurs tactiques se mettent à suivre une logique différente. Fable plus crue que cruelle, méditation spirituelle au-delà du pathétique, la pièce décrit l’existence interdépendante de quatre créatures qui cohabitent dans un refuge misérable, situé au milieu de nulle part. Marionnettes à figures humaines, figurines sans dimension psychologique, Hamm, Clov, Nell et Nagg, sont noyés dans un courant qui suit inexorablement sa pente définitive. Hamm, aveugle et paraplégique, trône dans un fauteuil monté sur roulettes au centre du local. Clov, son valet souffre douleur et impotent, capable de voir et de se mouvoir mais incapable de s’asseoir, exécute péniblement ses ordres. Assis dans deux bidons poubelles, Nell et Nagg, ses parents gâteux et nostalgiques, ayant perdu leurs jambes depuis un accident de tandem, reposent et ressassent leur passé. « Rien n’est plus drôle que le malheur » affirme la pièce dans l’une de ses répliques emblématiques. Elle exacerbe la force qui s’accomplit dans le dénouement, la finitude qui s’applique à dénuder le sort des êtres et des choses.

Bernard Levy aborde la mise en scène de ce spectacle avec le parti pris de la fidélité aux intentions de l’auteur. Son travail démontre que la continuité d’une œuvre aussi irréductible, aussi foncièrement irrécupérable, offre plus de champ à la créativité que la réorientation de son interprétation. S’accordant à notre époque éprise de virtualité, la scénographie s’étire entre les lignes métalliques d’un cube dématérialisé. Elle baigne dans une atmosphère de limbes à la mine grisaille, dans un non-lieu modélisé comme un fond d’écran abstrait, flottant entre le rêve et le réalisé. Jouant tous à l’unisson d’une justesse partagée, où seule l’inflexion des mouvements et des voix incorpore et vivifie les mots du poète, les comédiens prennent le temps de respecter les temps de Beckett. Ils laissent l’écho de ses sentences résonner avec éclat dans les corridors du silence, puis s‘évanouir dans le lointain, avant même d’avoir pu être totalement mesurés. Falaise abrupte de vérités énoncées, l’œuvre se parcourt comme une varappe au dessus du néant, les mains nues agrippées à la pierre, le corps plaqué contre la paroi verticale du ravin, l’œil en contemplation face aux failles des rochers. Chaque prise du relief semble la crête d’une vague sur un océan de pierre, immuable, incontournable, et dont la présente forme n’est qu’un échantillon de son immensité. Nul ne saurait dire quel sens accorder à cette voie parcourue entre gouffre et sommet, aux transparences de cette opacité. Pas même Samuel Beckett qui, auteur méditatif et inspiré, écrivit « tout langage est un écart de langage », rappelant que les mots réduisent le sens des perceptions. Son nihilisme à la désespérance complète et maîtrisée, restaure en nous l’impérieux besoin de se taire.

 

Fin de partie
de Samuel Beckett

Mise en scène Bernard Levy

avec Gilles Arbona, Thierry Bosc, Annie Perret, Georges Ser.
Décor Giulio Lichtner
Costumes Elsa Pavanel
Lumières Christian Pinaud
Son Marco Bretonnière
Assistant à la mise en scène Jean-Luc Vincent

Durée 1h40

Jusqu’ au 25 mars 2013
à 20h30. Dimanche à 15h30.

MC93 – Maison de la culture de la Seine-Saint-Denis
9 boulevard Lénine
93000 Bobigny
Métro Bobigny-Pablo Picasso
Réservation  01 41 60 72 72
http://www.mc93.com/

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