Critiques // Critique. « Fahrenheit 451 ». David Géry. Théâtre de la Commune

Critique. « Fahrenheit 451 ». David Géry. Théâtre de la Commune

Jan 18, 2013 | Aucun commentaire sur Critique. « Fahrenheit 451 ». David Géry. Théâtre de la Commune

ƒƒƒ Critique de Djalila Dechache

fahrenheit_philippedelacroix10

© Philippe de la Croix

Ce titre nous parle, il y a eu le livre de Ray Bradbury (1920-2012), grande référence en roman d’anticipation, écrit en 1953 et publié en plein maccarthysme, dont l’auteur en dresse une allégorie redoutable, il y a eu le film de François Truffaut, qui s’en est emparé pour l’amour des livres et pour ses souvenirs d’enfance, marquée par la période du nazisme qui les brûlait dans les rues.

Aujourd’hui la pièce de théâtre que signe David Géry.

Quand la ville brûle.

Le titre fait référence au point « d’auto-inflammation » du papier au contact de l’air, en degrés Fahrenheit.

Dans une ville lambda, une brigade de pompiers s’acquitte d’une étrange besogne, à l’opposé de leur mission : elle est chargée de supprimer et de brûler tout ce que la ville compte en livres. Pire, posséder des livres est sévèrement prohibé parce qu’ils «  montrent, les pores et le visage de la vie, ils nécessitent du temps libre et il faut avoir le droit d’accomplir les actions fondées sur ce que nous apprend l’interaction des deux autres éléments ».

Un soir, un de ces pompiers, agent du pouvoir totalitaire, rencontre une jeune fille, (Lucrèce Carmignac) « âgée de 17 ans et folle » c’est ainsi qu’il lui a été dit de se présenter.

Sa vie bascule grâce à cette jeune femme, riante, espiègle, libre,  considérée « asociale ». C’est la brèche qui va enrayer le système, la petite plume blanche qui virevolte face aux esprits obscurs.

Chez lui, sa maison est sous contrôle de machines et d’écrans qui informent et orientent, pour les moindres faits et gestes. Sa femme à moitié détraquée par la prise intensive de somnifères est résignée, totalement « à l’ouest ». Il ne lui reste rien.

Un jour, lors d’une mission, il enfreint la Loi : il dérobe un livre et il se met à lire et veut sauver les livres. Tout va s’enchaîner pour lui, percé à jour par le capitaine des pompiers, il doit se sauver, franchir le fleuve, devient rebelle, fugitif allié de marginaux-résistants qui ont développé la capacité de connaître par cœur les livres lus, leader de la contestation tandis que la ville sombre sous un bombardement. Ce sont des hommes-livres qui portent leur mémoire en eux comme ces anciens d’où qu’ils soient de la culture orale.

« Comme il est terrible de vivre sous le froid glacial de sa propre loi » F. Nietzche

Au-delà de l’allégorie du totalitarisme, il y a également une réflexion sur notre société, sa déshumanisation, les robots au centre du quotidien, ses guerres qui s’empressent de saccager musées et édifices historiques, la place qu’elle accorde à la culture par sa force d’élévation.

Cette société fictionnelle ne l’est plus tant que cela : nous y sommes  sans avoir encore atteint le pire mais nous y sommes quand même. Comment imaginer un pays, une société, une ville sans théâtres, ni cinémas ni librairies, bibliothèques, musées, galeries, une maison sans livres, ni musique, ni art, ce serait affreusement triste et lourd, atrocement pesant d’avoir à vivre sous « le froid glacial de sa propre loi », la loi du vide, du rien, de la tablette, de l’écran imposant, réducteur, de la seule Société du Spectacle (Guy Debord) comme vision du monde, société du divertissement généralisé, outrancier et obscène.

David Géry a rêvé porter sur scène ce texte. Son adaptation, fidèle au texte initial est « conçue » pour produire du théâtre. Trois mouvements ponctuent la représentation jusqu’au mouvement choral de la fin où chaque soir des invités surprise arrivent avec les livres qu’ils portent en eux à leur manière.

Il a fait appel à un grand professionnel de la pyrotechnie, Jeff Yelnik, qui à ce niveau est érigée en art, accordant ainsi une place centrale aux effets d’artifice, de fumée et de feu sonorisés dans le spectacle. La scène de la femme qui accepte de se laisser brûler est bouleversante dans sa simplicité.

Le son et les bruitages sont assez présents comme pour signifier la présence supérieure du feu  et de la destruction qu’il engendre. En revanche, les décors nécessitent sans cesse d’être déplacés. Malgré leur caractère mobile, ils ralentissent la fluidité de l’action. Cela ne saurait porter préjudice à ce travail, une fois de plus, hors du commun.

David Géry a réussi une nouvelle fois une belle prouesse théâtrale après son sublime Bartleby (Yann Collette) d’Herman Melville en 2004.

« Fahrenheit 451 est un livre qui fait aimer le livre ».David Géry.

Fahrenheit 451

Adaptation, mise en scène et son, David Géry

Avec Quentin Baillot, Lucrèce Carmignac, Simon Eine sociétaire honoraire de la Comédie-Française, Gilles Kneusé, Alain Libolt, Clara Ponsot et Pierre Yvon.
Assistante à la mise en scène Florence Lhermitte
Conseillère artistique et enregistrement des voix off Laura Koffler-Géry Scénographie Jean Haas
Effets spéciaux, pyrotechnie Jeff Yelnik
Lumières Dominique Fortin 
Musique Jean-Paul Dessy
VidéoDavid Coignard
Costumes Cidalia Da Costa assistée d’Anne Yarmola
Maquillages Sophie Niesseron
 
Jusqu’au3 Février 2013
Mardi et jeudi à 19h30 – mercredi et vendredi à 20h30 – samedi à 18h – dimanche à 16h
Théâtre de la Commune
2 rue Édouard Poisson
93304 Aubervilliers cedex

Métro : Aubervilliers-Pantin-Quatre Chemins
Réservation :01.48.33.16.16
www.theatredelacommune.com

 

 

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.