Expériences Théâtrales Innovantes // Critique . “Fables” d’après Jean de La Fontaine par la Compagnie TàbolaRassa

Critique . “Fables” d’après Jean de La Fontaine par la Compagnie TàbolaRassa

Avr 20, 2013 | Aucun commentaire sur Critique . “Fables” d’après Jean de La Fontaine par la Compagnie TàbolaRassa

ƒƒ Critique Jean-Christophe Carius

Les animaux malades des objets

Chef-d’œuvre littéraire classique, les fables de Jean de La Fontaine sont par nature une matière inépuisable pour les planches et les tréteaux. Poèmes écrits pour être contés à la cour de Louis XIV, la scène valorise leurs tournures éclatantes et la finesse d’esprit de leur sagesse. Vieux de plus de 300 ans, les vers libres de La Fontaine font encore retentir un bonheur d’expression qui semble inusable, comme polis à la source limpide et intemporelle de la langue française. Plus leçons de choses que leçons de morale, ses fables représentent un monde où les figures animales s’accordent aux comportements sociaux humains. Mais la perception de cette relation entre humanité et animalité a bien évolué depuis le XVIIème siècle. L’homme industriel a fait surgir une marée de matérialité qui s’est interposée entre lui et la nature. Il a réduit presque à néant l’idée d’une parentalité avec l’animal qui apparaît désormais comme un objet vivant noyé au milieu des objets.  

le loup et l'agneau© TàbolaRassa

Deuxième spectacle de la Compagnie TàbolaRassa, “Fables” compose et adapte une suite de quinze fables de La Fontaine à partir de cette vision d’un monde moderne cantonné sur son rivage d’emballages usagés. Adeptes d’un théâtre de mots, de corps et d’objets, Jean-Baptiste Fontanarossa et Olivier Benoit, qui met également en scène, jouent, dansent et virevoltent, font feu de tout plastique, papier et tissus, pour représenter le loup, l’agneau, le meunier, son fils et l’âne, et tous ces animaux malades de la peste que sont les tourments du comportement humain socialisé.

Joyeuse et judicieuse, cette pièce de théâtre “garage” est mise en œuvre avec une ingéniosité créative qui rappelle celle de l’enfance, lorsque l’imaginaire en liberté sait créer un monde à partir de presque rien. Sur fond de cartons d’électroménager, de drapés de bâches transparentes et de sacs plastiques que le vent ballonne avec étrangeté, le florilège des figures fabuleuses exerce son comique avec les pleins pouvoirs de la débrouillardise. Le sens narratif subtil de la mise en scène circule entre les mots et les gestes, les sons et les lumières, les accessoires et les objets, qui se révèlent marionnettes de fortune savamment animées. Il joue de notre immersion dans la production matérielle, de notre éloignement de la création naturelle, qui rend souvent notre imaginaire plus familier avec un bonnet de laine qu’avec un mouton, plus réceptif à un ballon de caoutchouc qu’à une grenouille. Spectacle au nihilisme malicieux et revigorant, à l’esprit torpilleur des aberrations du monde comme l’ont parfois les enfants, la pièce culmine dans l’expression intense d’une morale du poète fabuliste, qui sonne comme le résumé flagrant de la problématique contemporaine vitale et environnementale.

Un environnement saturé de déchets que la scène déchaîne à travers un final aux effets spectaculaires magnifiquement maîtrisés, invoquant le retour en force des forces naturelles, peut-être seules capables de réenchanter l’humanité en la désenvoûtant du pouvoir des objets.

 

Fables
D’après Jean de La Fontaine
Adaptation : Jean-Baptiste Fontanarosa, AsierSaenz de Ugarte, Olivier Benoit
Mise en scène : Olivier Benoit
Avec : Jean-Baptiste Fontanarosa, Olivier Benoit
Création lumière et son : Jorge García / SadockMouelhi
Construction, accessoires et marionnettes : Maria Cristina Paiva

Jusqu’ au 9 juin
Du mercredi au samedi à 19h30 – Dimanche à 17h – Relâche du 8 au 12 mai
Théâtre de Belleville
94 rue du faubourg du Temple 75011 Paris

Métro Belleville
Réservations 01 48 06 72 34

www.theatredebelleville.com

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