ƒƒ Critique Solveig Deschamps
Edward Bond fait partie incontestablement des auteurs majeurs de notre époque (Pièces de guerre, Naître, Le crime du XXI ème siècle…), il écrit « Existence » en 2002.
« Les horreurs qu’on voit quand on regarde une tragédie nous importent parce que nous sommes conscients qu’elles arrivent dans une situation humaine » E. Bond
Et nous sommes bien spectateurs de cette tragédie à nous retourner l’estomac et à nous faire rire aussi. Puissance de l’écriture, des phrases courtes, souvent inachevées comme si la pensée s’arrêtait ou continuait dans la tête, tête cabossée de X, le jeune homme, cambrioleur d’une nuit, à la recherche d’argent. Dans l’appartement, Tom, qui ne dort pas, ne dira pas un mot, parlera autrement.
Tu bouges, t’es mort
Dans les pommes
Petite surprise quand tu vas refaire surface
Silence de Tom, pas d’argent, X va chercher autre chose, « quelque chose qui te manquera ».Ça va mal se terminer, mais la monstruosité n’est pas dans la fin, elle se dévoile petit à petit, tragédie oblige.
© Cosimo Mirco Magliocca
« Il est impossible d’assister à la représentation de ce texte en se disant qu’on a passé une bonne soirée » C Benedetti
Pénombre sur le plateau, on devine le salon d’un appartement modeste, fenêtre à rideaux légèrement entrouverts laissant passer un rais de lumière, néon de la nuit. Il n’y aura que cette nuit-là tout au long du spectacle, noirceur humaine, comme pour appuyer le silence des voisins qui ne veulent pas entendre. Chapeau Dominique Fortin pour cette obscurité. Un long temps, bande sonore où l’on entend des pas qui se rapprochent, porte fracturée. Et nous devinant X qui devine Tom tapi dans le noir, X commence à parler, fractures de son monologue, saccage de l’appartement, télé cassée « Télé, boîte à merde, pour ton bien ». Nous, petit rire. Soulagés peut–être de n’avoir pas à intervenir, nous ne pouvons pas faire la sourde oreille comme les autres (les voisins qui ne vont pas se manifester). Nos oreilles entendent, là où nos yeux devinent, tout est dans la parole prononcée, puissance des mots qui nous fait entrer dans la tête de X, dans sa façon de penser, il y a un peu du Antonin Artaud dans ces cris-là. Christian Benedetti (notamment metteur en scène de La Mouette en 2011 dans le même théâtre) nous offre un petit bijou théâtral obscur. C’est noir mais impossible de savoir s’il y a de l’espoir, il nous évite même le syndrome de Stockholm. Gilles David (Tom), tout muet qu’il est, est comme toujours juste, décidément un beau comédien. Quant à X (Benjamin Jungers) il semble encore un peu fragile, laissons-lui un peu de temps pour faire encore plus sienne cette formidable écriture de Bond.
Heureuse d’avoir passé une mauvaise soirée, heureuse d’être au bord de vomir en sortant du théâtre.
Existence
D’Edward Bond
Avec Benjamin Jungers et Gilles David
Traduction: Michel Vittoz
Mise en scène et scénographie: Christian Benedetti
Lumières: Dominique Fortin
Réalisation sonore: Laurent Sellier
Assistante à la mise en scène: Elsa GranatJusqu’au 28 avril 2013 (horaires variables)
Studio-Théâtre
Galerie du Carrousel du Louvre
Place de la Pyramide inversée
99 rue de Rivoli, Paris 1e
Métro : Palais-Royal Musée du Louvre (accès direct à la galerie du Carrousel)
http://www.comedie-francaise.fr/
Location 01 44 58 98 58