Critique de Dashiell Donello –

Deux hommes, l’un est citadin, peintre, cultivé. L’autre est rural, cheminot à la retraite et jardinier. Deux univers à première vue sans passerelle. Le citadin descend à « sa campagne ». Son voisin, son jardinier, après le travail, le regarde peindre, longtemps parfois. Du temps passé ensemble, face au pré. Peu à peu. Ils s’apprivoisent, la complicité entre eux va germer.

L’artiste de la ville et le jardinier des champs : fable moderne

A priori la connivence d’un artiste peintre de la ville et d’un jardinier des champs ne devrait pas aller de soi. Pourtant peu à peu, la curiosité de l’un pour l’autre, fait pousser d’une terre philosophique le fruit d’une tolérance simple et sincère. Cette fable moderne sans troubles ni reliefs d’Ortolans, s’ouvre à ciel ouvert devant un pré que nulle crainte ne peut corrompre. L’artiste fait de l’herbe sur toile. Le jardinier fait éclore de la salade sur la vue imprenable de son potager. Le crayon de l’artiste est l’outil de sa création, comme la binette du rustique, qui aligne les haricots, est celle de sa paysannerie. Tous deux cultivent la beauté d’un jardin, d’un tilleul ou d’une patate. Ils sèment en bataillant, avec les mots de la vie, de la peinture et de la mort, l’art de vivre pour récolter l’amitié. Le jardinier vient voir l’artiste, et reste silencieux devant l’œuvre avant de se signaler par un toussotement ritualisé.

Le dialogue peut enfin commencer :

– Ma parole, tu fais le portrait d’une patate ! Grandeur nature, un vrai portrait ressemblant !
C’est une commande ?
– Oui, une commande de la pomme de terre elle-même.
– Oh, alors tu gagneras pas grand chose !
– Elle me paiera en pommes de terre.
– Je te regarde, on dirait vraiment que tu la regardes, pour la faire comme elle est.
– Je la regarde pour la faire comme elle est…
– Toute tordue avec son coup de bêche.
– Blessée, oui, c’est ça qui me plaît, cette blessure.
– C’est arrivé il y a deux mois peut-être, tu vois, elle a refait de la chair par dessus,… Je t’en amènerai de plus belles du jardin d’en bas.
– Volontiers. Mais je préfère celles qui ont souffert. Tu vois, cette blessure, on dirait un sexe.
– J’y ai pensé, mais j’aurais pas osé. Tu vas la faire exacte comme ça, ronde, avec l’ombre ?
C’est pourtant pas grand chose une patate.
– Regarde-la un peu !
– J’ai beau regarder, je vois une patate…

L’humanité au goût d’une amande amère

La première fois que le metteur en scène Lionel Parlier a découvert le roman d’Henri Cueco, l’envie de le faire connaître et de le porter sur scène fut immédiate. Quand on voit le résultat, on ne peut que l’en remercier. Car cela s’impose comme une œuvre théâtrale pleine d’humanité, avec le goût d’une amande amère. Sa mise en scène dessine, par petites touches subtiles, les rapports impressionnistes de deux êtres qui se rencontrent dans la réalité paysanne de la vie. Jean-Paul Audrain, qui signe aussi l’adaptation de ce texte émouvant, nous donne un beau jardinier authentique jusqu’aux inflexions de voix. Christian Neupont lui, nous brosse un portrait maîtrisé d’un artiste peintre qui au contact de son jardinier trouve une inspiration nouvelle.

« Dialogue avec mon jardinier » est une invitation à l’amitié, à l’humour, à l’émotion et à la poésie rurale. Au sortir du théâtre le public est enchanté. Une belle histoire d’homme dans ce monde brutal ne peut que faire du bien. Une belle réussite !

Dialogue avec mon jardinier
De : Henri Cueco (Éditions du Seuil)
Adaptation : Jean-Paul Audrain
Mise en scène : Lionel Parlier
Avec : Jean-Paul Audrain et Christian Neupont
Lumières : Christian Drillon
Compagnie de l’Escarboucle

Du 15 novembre au 4 décembre 2011
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h (relâche exceptionnelle le 2 déc.)

Théâtre de l’Epée de bois
Cartoucherie de Vincennes
Route du champ de Manœuvre, Paris 12e
Métro Château de Vincennes, puis Bus 112, arrêt Cartoucherie – Réservations 01 48 08 39 74
www.epeedebois.com

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