Critiques // Critique – Der weibsteufel – Le Diable fait femme de Karl Schönherr au Théâtre de l’Odéon

Critique – Der weibsteufel – Le Diable fait femme de Karl Schönherr au Théâtre de l’Odéon

Fév 21, 2013 | Aucun commentaire sur Critique – Der weibsteufel – Le Diable fait femme de Karl Schönherr au Théâtre de l’Odéon

ƒƒƒ Critique Bruno Deslot

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© Hans Jörg Michel

Une crise s’ourdit pour se jouer à demi-mot, quelque part dans les Alpes autrichiennes. L’homme est contrebandier. Un chasseur alpin (le douanier) a été chargé d’entrer dans les bonnes grâces de son épouse pour recueillir des preuves. Le trafiquant pousse donc sa femme à séduire l’enquêteur, afin de faire échouer sa mission. Mais les affects des uns et des autres, d’abord simulés, vont déchaîner des forces qu’ils ne soupçonnaient pas – et la femme, après avoir été manipulée dans la partie que les deux hommes jouent à distance l’un contre l’autre, finit par retourner la situation…

Un triangle amoureux

Karl Schönherr, un médecin né dans un petit village du Tyrol à la fin du XIXe siècle, se passionne pour la littérature et abandonne son activité principale pour se consacrer entièrement à l’écriture : Foi et patrie (Glaube und Heimat), 1910 ; Peuple en détresse (Volk im Not), 1916 ; Le Médecin des pauvres (Der Armendoktor), 1927 et Der Weibsteufel (La diable fait femme) que Martin Kusej décide de mettre en scène avec un goût prononcé pour les auteurs autrichiens.

Il fait grand œuvre de Der Weibsteufel, une pièce au langage simple, efficace et d’une telle évidence qu’elle nous renvoie à une perspective inattendue du monde et de l’expérience que l’on en fait. L’intensité dramatique de la pièce observe un crescendo cousue de fil blanc et pourtant on se laisse porter par la vague de violence de la proposition. Rien d’étonnant dès le premier acte, et pourtant Schönherr nous tient en haleine jusqu’à la mort de l’époux poignardé par le douanier ! Et cette femme, si énigmatique ! A-t-elle une âme pour servir les désirs les plus vils de son époux ? Se soumettre à ses combines de petit contrebandier du dimanche ? Selon une arithmétique très complexe dessinée par un triangle au sein duquel les affects sont puissamment exacerbés, les personnages, interprétés par des comédiens parvenus au sommet de leur art, dégagent une puissance aussi naturelle que dévastatrice.

L’arbre qui cache la forêt

Martin Zehetgruber signe une scénographie magistrale, plaçant de gigantesques troncs d’arbre entremêlés sur la scène et sur lesquels les personnages évoluent 1h30 durant. Dans cette histoire où rien n’est acquis et où les personnages sont en permanence sur le fil, l’enchevêtrement des troncs d’arbre renforce cette mise en abyme que le metteur en scène privilégie tout particulièrement en recourant à un savant jeu de lumières oscillant entre le noir complet ou l’opacité ambiante. Le passage d’une scène à l’autre augmente ainsi la tension dramatique et donne à chaque comédien la possibilité d’apparaître de nulle part comme pour tenter d’échapper à une situation inextricable ! Tout comme cette femme, qui finalement évolue tout au long de la pièce et qui de son pauvre coffre – contenant des souvenirs de mère dévastée – défoncé d’un coup de poing par le douanier, prendra sa revanche sur cet esprit ambitieux en lui offrant ses cuisses brûlantes ! Elle aime toujours son époux mais différemment !

La pièce de Schönherr est servie par une distribution d’exception, circulant sur les troncs dans un équilibre virtuose : Birgit Minichmayr, Ours d’argent de la meilleure actrice au Festival de Berlin et double lauréate du prix Nestroy ; Tobias Moretti dont la carrière d’acteur lui a valu de nombreuses récompenses comme Bayerischer Filmpreis, Goldener Löwe ou Grimme preis…) et Werner Wölbern connu pour ses mises en scène et en résidence en 2011/12 au Residenztheater de Munich.

Quatre représentations pour une pièce d’exception comme celle-ci, c’est trop peu et l’on espère que le Théâtre de l’Odéon aura l’occasion de reprogrammer ce chef d’œuvre.
 

Der weibsteufel – Le Diable fait femme
De : Karl Schönherr
Mise en scène de Martin Kusej
Scénographie : Martin Zehetgruber
Costumes : Heide Kastler
Musique : Bert Wrede
Lumière: Tobias Löffler et Félix Dreyer
Dramaturgie : Sebastian Huber
Avec : Birgit Minichmayr, Tobias Moretti, Werner Wölbern
En allemand surtitré
Jusqu’au 23 février 2013 à 20h
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon
75006 Paris
Réservations : 01 44 85 40 40
www.theatre-odeon.fr

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