Critiques // Critique • « Déjà là » d’Arnaud Michniak au Théâtre de la Colline

Critique • « Déjà là » d’Arnaud Michniak au Théâtre de la Colline

Jan 21, 2012 | 17 commentaires sur Critique • « Déjà là » d’Arnaud Michniak au Théâtre de la Colline

Critique de Bruno Deslot

Une histoire dérobée pour un passé déjà en construction !

Arnaud Michniak et ses comédiens ont préféré la rue à la table comme point de départ pour la réalisation « d’un projet qui a une très grosse envie de réel. » Démunis face à une réalité qui leur échappe lors d’une nuit improbable, eux sont Déjà là.

Entretiens filmés avec le quidam et improvisations à partir de bribes de textes de l’auteur, l’énonciation traditionnelle emprunte des chemins de traverse avant de livrer une écriture de plateau surprenante et inattendue pour dire ce qu’il semble impossible à exprimer.
Un état d’urgence, une situation de crise s’ourdit dès les premières images projetées sur un rideau de scène transparent, derrière lequel les comédiens errent entre bouteilles de bière consommées, chaises renversées, sol jonché de journaux… En off, une voix féminine, à la fois douce et grave, accompagne les images balayant l’avant-scène plongée dans une semi-obscurité. Des tours d’immeuble aux fenêtres closes, des visages suggérés, des bandes armées…donnent le ton à cette proposition détonante, sous pression, prête à exploser comme une bombe à retardement. Bientôt, les comédiens livrés à eux-mêmes, dans une arène où les combats s’annoncent féroces, lâchent en rafales « Nous ne sommes pas des mutants ! » La soirée est tendue, la nuit s’annonce sans préalable, les quatre comédiens basculent dans la déraison, la lamentation, le procès d’intention, la révolte, la résistance…autant d’intentions que la musique, rythmant les différents tableaux, exprime elle aussi de manière chorale et à la fois dans une unité absolue. Grande complexité de la pièce : quel est le sujet ? De quoi parle-t-on ? Pourquoi ? Comment ? Autant d’interrogations auxquelles se heurtent les quatre comédiens durant 1h30.
Des conversations absurdes, dans la première partie de la pièce, inscrivent les protagonistes dans une incapacité à dialoguer. Dans une série de contradictions assez troublantes parce qu’absurdes, le langage semble prendre le pas sur un échange réel, plus proche d’eux, de ce qu’ils sont, étaient, ou pourraient être. Comme dépossédés de leur humanité, la stratégie de l’intimidation, des règles, chiffres, valeurs, preuves…prend rapidement place. Plus on avance dans la nuit et plus les propos sont acerbes, corrosifs, troublants et dérangeants…un rapt, voilà ce à quoi on assiste. Ce n’est pas le rapt de Ganymède, mais bien celui de toute une génération prise dans le tourbillon de la dépossession, d’une tentative vertigineuse de faire parler la vie.
Invectivant en force des répliques explosives ou au contraire accusant désormais une réalité à laquelle ils se soumettent, les quatre comédiens sont happés dans la spirale infernale d’un histoire dérobée. Acculés au chaos de leur existence, une lueur d’espoir fait place à une autre crise : celle de deux personnes qui cherchent à s’aimer. Symbole d’une mutation au sein du groupe, leur relation constitue un premier pas vers eux-mêmes, vers le regard de l’autre…sans doute vers l’acceptation ! Un groupe apparemment uni qui se disloque avec le départ d’une des leurs, pour se ré-articuler autour d’un homme et d’une femme cherchant à s’aimer, et mieux se retrouver avec le retour de la disparue. Segmentation temporelle d’une nuit étouffante, révélatrice d’une tension toujours plus palpable et s’exprimant dans une urgence à dire : longue traversée du désert, symbole d’une vie !
Les quatre comédiens bougent des panneaux amovibles pour structurer l’espace scénique et circonscrire leurs échanges selon une scénographie qui annonce un désastre à venir. La musique électronique s’apparente à une succession de chocs sismiques, ébranlant le Petit Théâtre de la Colline.
Déjà là, dérange, interroge, trouble et invite le spectateur à une réflexion au long cours sur le vivre ensemble… et sans doute sur le vivre tout simplement !

Déjà là
Texte : Arnaud Michniak, à partir d’entretiens et d’improvisations
Mise en scène et scénographie : Aurélia Guillet
Avec : Maud Hufnagel, Judith Morisseau, Laurent Papot, Hakim Romatif Lumières : Camille Faure
Création sonore : Céline Seignez
Musique originale et sons additionnels : Arnaud Michniak
Montage vidéo : Flore Guillet
Costumes : Nicolas Gueniau

Du 19 janvier au 18 février 2012
Du mercredi au samedi à 21h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h

Théâtre National de la Colline
15 rue Malte-Brun, Paris 20e
M° Gambetta — Réservations 01 44 62 52 52
www.colline.fr

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