Critiques // Critique. « Colorature ». Mrs Jenkins et son pianiste. Théâtre du Ranelagh

Critique. « Colorature ». Mrs Jenkins et son pianiste. Théâtre du Ranelagh

Déc 09, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. « Colorature ». Mrs Jenkins et son pianiste. Théâtre du Ranelagh

ƒƒƒ Critique de Denis sanglard

BIANCA CASTAFIORE

© Michael Crotto

Madame Florence Foster Jenkins (1868-1944) fut une des plus troublante cantatrice de son époque, capable de massacrer, doux euphémisme,  les plus grands airs du répertoire lyrique qu’elle miaulait dans les salons huppés. Un sens du rythme des plus singulier pour ne pas dire inexistant et un talent certain pour ne jamais chanter juste – ou alors par hasard – fit de cette riche héritière un objet de curiosité incroyablement populaire. Ainsi passa-t-elle des salles de bals des grands hôtels au Carnegie Hall, rien de moins. On dit même qu’elle inspira à Hergé le personnage de Bianca Castafiore. Mais une diva, aussi catastrophiquement talentueuse soit elle, sans pianiste c’est comme un pianiste sans piano. Les deux font la paire. Colorature rend enfin justice à une des victimes collatérales de cette révolution lyrique que fut l‘apparition de Florence Foster Jenkins dans le milieu musical. Derrière l’opulence d’une voix se cachait, et pour cause, Cosme Mcmoon. De leur première rencontre, de son engagement et de leur étrange collaboration, des salons de répétitions au dernier concert nous suivons le destin d’un étrange attelage uni pour le meilleur et surtout le pire de l’art lyrique.

 C’EST MOZART QU’ON ASSASSINE…

La réussite de cette pièce, adapté de Stephen Temperley par Stéphane Laporte, tient en ce qu’elle évite l’écueil d’un récital, d’un bout-à-bout d’airs massacrés. Plus qu’un portrait à charge dont l’unique but serait de faire rire aux dépends de son personnage, c’est une interrogation admirative. Interrogation que porte Cosme Mcmoon. Que Mozart soit promptement assassiné ou Verdi dynamité il y a un mystère Florence Foster Jenkins qui dépasse l‘entendement. Folie ou aveuglement force est de constater que quelque chose résiste au final à toute critique, à toute explication logique. Comme l’entêtement de Cosme Mcmoon à demeurer auprès de celle qui, finalement, anéantit aussi sa carrière.

La mise en scène discrète d’Agnès Boury s’attache non pas à répondre à ces interrogations mais au contraire à donner à chacun des deux protagonistes une certaine complexité sous une apparente légèreté, évitant ainsi la caricature attendue. Que Florence Foster Jenkins chante faux importe peu. C’est la conviction de chanter juste, de servir l’art lyrique, de se donner corps et âme en somme qui force l’admiration et creuse davantage le mystère. C’est cela qui sans doute amène Cosme Mcmoon à accompagner, à protéger,  cette chanteuse hors norme. Car la conviction du personnage semble cacher une fragilité, une innocence enfantine, que la désillusion guette, désillusion devant une vérité artistique cruelle que le concert de Carnegie Hall, qui fut le dernier et l’acmé de sa carrière, fait entrevoir. Et que Cosme Mcmoon s’ingénie à contrer comme il peut. Un jeu de dupe en somme qui lie ce duo indéfectiblement. Agnès Bory tire ce fil ténu et tisse intelligemment leur relation. Aidée en cela par deux comédiens remarquables qui échappent à toutes les chausse-trappes que de tels personnages pourraient tendre.

 FOLIE DOUCE

Agnès Bove ( Florence Foster Jenkins) apporte à son personnage une sincérité troublante, un naturel confondant. Un portrait tout en délicatesse et nuance qui ne verse jamais dans l’outrance. Obstinée, convaincue, assurée de son immense et indéniable talent, étrangement sourde aux quolibets de son public face à  Grégory Baquet (Cosme Mcmoon) désarmé devant tant de naïveté et de convictions inébranlables, elle n’est jamais ridicule. Agnès Bove a l’élégance d’oublier ses années de chants lyriques pour chanter faux de façon juste et imparable. Le duo formé avec Gregory Baquet est d’une grande finesse. Ce couple improbable au commencement  atteint sans fausse note, entre deux arias hoquetées,  une belle harmonie. Il y a une réelle complicité qui apporte à cette création une part de sa réussite. Tous deux semblent gagnés par cette foi, cette folie douce et contagieuse, qui animait Florence Foster Jenkins. Et qui finit par atteindre le public, lequel hurle certes de rire mais fait encore un triomphe à cette spectaculaire diva soixante dix ans après sa disparition. Preuve s’il en est du talent singulier de madame Florence Foster Jenkins qui par delà sa mort nous explose encore avec bonheur les tympans. BIS !

Colorature
Mrs Jenkins et son pianiste
De Stephen Temperley
Texte français de Stéphane Laporte
Mise en scène / Agnès Boury
Avec Agnès Bove et Grégory Baquet
Lumière : Laurent Béal
Costumes : Eymeric François
Décors : Claude Plet
A partir du 1er décembre 2012
Du mercredi au samedi à 21h- Matinée samedi 16h30 et dimanche 17h -Relâche exceptionnelles les 28 et 29 décembre.

Théâtre le Ranelagh
5 rue des vignes 75016 Paris
Métro : La muette – Passy
Réservation 01 42 88 64 44
Réservations en ligne: www.theatre-ranelagh.com

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.