Critiques // Critique • « Cœur ténébreux » de Josse de Pauw, mise en scène Guy Cassiers au Théâtre de la Ville

Critique • « Cœur ténébreux » de Josse de Pauw, mise en scène Guy Cassiers au Théâtre de la Ville

Déc 10, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Cœur ténébreux » de Josse de Pauw, mise en scène Guy Cassiers au Théâtre de la Ville

Critique de Audren Destin

Ah la la… Les mots me manquent… Comment exprimer cette profonde déception, cette grande lassitude qui s’est emparée de moi mardi dernier aux alentours de 20h30 dans un grand théâtre parisien ? Encore une fois… on s’est fait avoir.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais quand même féliciter le metteur en scène : bravo Monsieur ! En effet, n’est-ce pas remarquable , à partir d’un texte si riche, si profond, Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, un joyau de la littérature du XXe siècle, de créer une mise en scène à ce point morne, vide et plate ? Moi je dis que c’est un coup de maître, il fallait le faire !

© Koen Broos

Rappelons les faits :
En 1899, Joseph Conrad écrit Heart of Darkness. Cet écrivain d’origine polonaise, naturalisé sujet britannique après avoir sillonné les mers et obtenu un brevet de capitaine de la marine marchande anglaise, relate dans cette nouvelle le parcours du jeune officier Marlow qui, attiré par les espaces blancs sur les cartes, décide de s’embarquer pour l’Afrique en se faisant engager par une compagnie commerciale belge. A travers son périple au cœur de l’Afrique noire, le jeune Marlow décrit avec un humour féroce les aberrations et la sauvagerie de l’exploitation coloniale, la déchéance morale, ainsi que sa rencontre avec un homme peu ordinaire, perdu au fin fond des ténèbres, M. Kurtz.
En 1979, Francis Ford Coppola adapte la nouvelle de Conrad et crée ainsi un des films les plus puissants des années 70, une fresque sur la guerre la plus surréaliste et la plus cauchemardesque de l’Amérique : Apocalypse Now.
En 2011 …. rien.

Comment dire les choses autrement ? Non seulement la mise en scène n’apporte rien à l’œuvre originale, mais qui plus est, elle l’appauvrit. Dans le texte de Conrad, il y a une forme d’introduction au récit, Marlow est sur un yacht avec des amis et alors qu’ils sont bloqués par la marée, il se met à raconter son étrange histoire, depuis le moment où il flâne dans les rues de Londres jusqu’à sa rencontre avec le directeur de la compagnie et ensuite son départ pour l’Afrique et tout ce qui va s’en suivre. Dans la pièce, rien de tout cela, le comédien arrive de nulle part, et seul en scène, dans des habits de tous les jours, pantalon bleu et chemise brune, une bouteille d’eau à la main, il démarre son texte. Au bout d’une minute trente on a compris, le spectacle va se dérouler ainsi, 1h50 de récitation, il ne va strictement rien se passer.

© Koen Broos

Au fur et à mesure de sa récitation, l’acteur va, à l’aide d’images vidéos, jouer tous les personnages mais cela n’a aucun intérêt et ceci pour deux raisons : tout d’abord car il joue tous les personnages de la même manière, sur le même ton, sans véritable interprétation. Il n’y a ni rupture, ni confrontation, ni tension mais seulement une sorte de mollesse généralisée, un peu triste, très ennuyeuse. À aucun moment on ne retrouve dans son jeu l’ironie mordante pourtant très présente dans le récit. Pas un rire en deux heures ! Si, pardon, un seul, quand une personne du public à failli s’étouffer à force de tousser, les gens ont ri. Il faut préciser que depuis le début du spectacle c’était, comme souvent dans les théâtres à cette période de l’année, un véritable concert de toux, une symphonie. La deuxième raison pour laquelle l’utilisation de la vidéo est ici inutile, c’est parce que d’un point de vue technique, c’est très mal fait. Les images vidéos sont projetées sur des panneaux qui avancent et reculent en fonction des scènes. Fascinant… Mais bon sang ! Allez donc voir le travail de Robert Lepage ou d’autres, voyez ce qu’on peut faire aujourd’hui avec la vidéo, la manière dont on peut l’intégrer au jeu des comédiens, ça peut être magnifique, bluffant, superbe. Ici, rien à voir, circulez. Il aurait tout aussi bien pu lire le texte en diffusant des diapos, ça n’aurait pas été pire, ça aurait peut être été mieux.

Il me semble qu’un metteur en scène responsable doit avant tout penser à son public, c’est à dire à celui qui se dit, « tiens ça fait longtemps chérie qu’on a pas été au théâtre, ça te dit d’aller voir ça, c’est Conrad, excellent auteur, ça risque d’être vachement bien, je réserve ! », ce pauvre type qui a payé pour se retrouver deux heures bloqué sur son siège à écouter un monologue interminable. J’ai vu un groupe de lycéen dans la salle et je me suis fait cette réflexion, ces jeunes oseront-ils retourner au théâtre un jour ?
Heureusement l’ennui, comme le ridicule, ne tue pas, et en ce mardi 6 décembre, tous les spectateurs du Théâtre de la Ville ont pu rentrer chez eux sains et saufs.

Cœur ténébreux
Texte : Josse de Pauw
D’après : Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres
Mise en scène : Guy Cassiers
Avec : Josse De Pauw
Dramaturgie : Erwin Jans
Scénographie : Guy Cassiers, Enrico Bagnoli
Conception lumières : Enrico Bagnoli
Décor sonore : Diederik De Cock
Conception vidéo : Arjen Klerkx
Costumes : Kristin Van Passel, Charlotte Willems
Maquillage : Ingeborg Van Eetvelde

Du 6 au 11 décembre 2011
Du lundi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet, Paris 4e
Métro Châtelet
www.theatredelaville-paris.com

Réservations Théâtre de la Ville : 01 42 74 22 77
Réservation Festival d’Automne : 01 53 45 17 17

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