ƒƒ Critique Solveig Deschamps

© DR

L’Oiseau dans l’espace

Cet oiseau-là est une sculpture en bronze de Constantin Brancusi, il est la pièce à conviction numéro 1 du procès intenté par le sculpteur  aux douanes américaines. Ce procès, débuté en octobre 1927 et que l’artiste va gagner, s’achève en novembre 1928. Voici les faits : Brancusi (1876 -1957) envoie à New-York une vingtaine de sculptures pour une exposition qu’il doit faire à la galerie Brummer. Les œuvres, non reconnues comme telles, sont saisies et taxées à la douane comme marchandises.

Éric Vigner, directeur du CDN de Lorient depuis 1996, a adapté les minutes de ce procès et nous en propose une lecture-performance dans la salle Matisse du Musée d’Art Moderne.

De l’Art ou du Cochon ?

Au centre de la salle Matisse, une grande table noire, quatre chaises, des micros : c’est là que va se jouer le procès. Les spectateurs, de part et d’autre de l’espace scénique, sont les témoins et jurés du débat qui va avoir lieu. Les 8 protagonistes entrent. S’installent à la table le juge, l’avocat de Brancusi et celui des Etats-Unis. Le texte en main, ils commencent à lire. La question est posée : Qu’est ce qu’une œuvre d’Art ? Une photographie de la sculpture, objet de la polémique, est distribuée aux spectateurs. Interrogatoire et contre-interrogatoire. Un par un, les témoins du plaignant sont appelés à témoigner, puis viendront à la table ceux du défendeur.

La parole est à la défense : « Avez vous un certificat d’artiste ? » «  Un ouvrier ne peut pas faire une œuvre d’Art ? » Parlant de la sculpture «  Elle ne représente pas un oiseau ? » « A-t-elle la même aptitude à représenter un poisson ? »

Qu’est ce qu’un artiste ? Suffit-il de se dire artiste pour l’être ? L’émotion que nous procurent les œuvres d’art ne prouve-t-elle pas qu’elles le sont ? Qu’en va-t-il de la reconnaissance de l’artiste ? Suffit-il de ne pas aimer une œuvre pour certifier que son auteur n’est pas artiste ? Et Van Gogh ? Les artistes sont-ils condamnés à démontrer qu’ils le sont ? Qu’en est-il des marchands d’art du vingt et unième siècle qui ont le monopole financier ? Un procès comme celui-là pourrait-il encore avoir lieu ? Autant de questions qui nous taraudent en sortant du musée.

Éric Vigner ne s’est pas contenté d’offrir cette lecture aux comédiens avec lesquels il a l’habitude de travailler (Jean Charles Clichet est plus vrai que nature dans son rôle d’avocat de la défense) : il a eu l’intelligente idée de proposer cette aventure à « des témoins issus de différents domaines de l’art » : Dominique Gagneux (conservatrice en chef au Musée d’Art Moderne), Guy Boyer (directeur de la rédaction des Arts) et Emmanuel Perrat (avocat). On les sent tous les trois investis, concernés et heureux d’être là, un peu traqueurs comme quand on est appelé à la barre, et ce pour notre plus grand bonheur. La présence de Catherine Samie étant la petite cerise sur ce gâteau dont on reprendrait bien une part.

Brancusi contre États-Unis
D’après les minutes du procès Brancusi contre Etats-Unis de 1927
Adaptation et mise en scène : Eric Vigner
Avec : Bénédicte Cerrutti, Jean-Charles Clichet et Hélène Babu et la participation de Guy Boyer (Connaissance des Arts), Anaïs Demoustier (comédienne), Dominique Gagneux (musée d’Art moderne de la Ville de Paris),  M/M Paris (artistes), Emmanuel Pierrat (avocat), Catherine Samie (de la Comédie Française)
Collaboration artistique : Jutta Johanna Weiss
Assistant à la mise en scène : Morgan Dowsett
Création lumière : Kelig Le Bars
Création son : John Kaced

Création dans le cadre des CENTQUATRE soirées MODERNE
Jusqu’au 28 avril à 16h30

Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
11, avenue du président Wilson 75016 Paris
Métro : Iéna
Réservation : 01 53 35 50 00

Be Sociable, Share!

•