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Critique. « Bourreaux d’enfants ! chap. 1 » au Théâtre de l’aquarium

Mar 22, 2013 | Aucun commentaire sur Critique. « Bourreaux d’enfants ! chap. 1 » au Théâtre de l’aquarium

ƒƒ Critique Anna Grahm

bourreaux

« Modeste proposition » de Jonathan Swift mise en scène de François Rancillac

‘La vision est l’art de voir les choses invisibles’ Jonathan Swift

Voici un homme qui a beaucoup réfléchi sur les mesures à prendre concernant les enfants des classes pauvres qui jonchent les rues de nos villes. Et c’est au milieu de ces vieux journaux qu’il se déroule le tapis rouge pour nous faire partager sa vision. David Gabison alias Jonathan Swift, dans son costume sombre, chaussettes mauves, va pousser le bon sens jusqu’à l’absurde et nous expliquer avec le sérieux d’un professeur, d’un conférencier, d’un expert, d’un scientifique, d’un économiste, comment gérer la pauvreté galopante qui envahit l’espace public. Avec minutie, il va ouvrir ses dossiers, sortir ses papiers, carte de géographie à l’appui il va conspuer les papistes et nous démontrer par a + b le bien fondé de manger du bébé. Et s’il n’a pas l’air commode c’est, dit-il, que ‘l’homme aimable est un homme aux idées malsaines ‘. Sur son tableau noir, l’homme prophétise, additionne et soustrait de l’humain, pour en arriver à la pire des conclusions : le cannibalisme.

C’était en 1729, Swift s’attaquait alors aux politiques de l’Angleterre qui affamaient le peuple irlandais. Etrange résonnance du pamphlet censé nous faire rire jaune et qui fait froid dans le dos, quand se superposent les images de ces corps écroulés, croisés plus tôt, gisants au milieu de l’hiver, sur une plaque de métro, et qui n’ont pour seule protection que la couverture d’un carton. Voilà peut-être pourquoi nous ressentons avec tant d’acuité la fragilité de David Gabison, voilà sans doute pourquoi nous nous attachons à cet acteur singulier, et que l’on a soudain besoin d’en savoir plus sur lui. Soudain sa posture ambiguë d’orateur concentre tous les dangers qu’on ne veut pas voir, provoque une angoisse diffuse, à laquelle nous voudrions échapper. Car, l’air de rien, dans les pas de Swift, sous la direction de François Rancillac, il vient de nous rappeler que la sauvagerie est toujours parmi nous.

« L’homme qui rit » d’après le roman de Victor Hugo, mise en scène Christine Guênon

‘J’ai senti le besoin d’affirmer l’âme’ Victor Hugo

La deuxième partie de la soirée nous conte l’histoire d’un enfant que l’on a mutilé. Les Comprachicos l’ont défiguré et abandonné à son sort. Là encore, les marques de violences et d’exclusion butent sur les notions d’égalité, et l’on doute encore et toujours d’apprendre un jour à vivre ensemble. Dès le premier instant, l’actrice en marcel nous happe, nous harponne, nous habite. Un petit bout de femme sur un plateau nu nous embarque dans une vaste épopée. Une seule femme va nous immerger dans le chef d’œuvre de Victor Hugo, passant par quatre figures, nous faisant voyager dans le 19ème siècle. Et nous la suivons, en apnée, suspendus à son souffle, nous avons froid, nous avons peur, nous n’existons plus, faibles parmi les faibles, plus petits qu’un atome. Une seule femme qui découd les codes du genre, devient homme, enfant, bête affamée, parcourt le monde, ressurgit du chaos et tombe et se relève, et cherche partout les traces d’une humanité disparue. Par sa bouche, les mots du poète nous élèvent, nous transportent dans les replis surréalistes qui sont encore et toujours, hélas, une réalité.

Dans ce roman initiatique l’enfant abandonné va traverser toutes les épreuves, rencontrer la mort, puis sauver une vie, une petite fille, puis trouver Ursus, magnifique personnage, figure de la bonté et qui n’avait, jusqu’alors, supporté que la compagnie d’un loup. L’itinéraire de l’orphelin qui a traversé la torture, et s’est senti écrasé par l’univers, est sidérant et, Christine Guênon, arc-boutée à la langue d’Hugo, nous stupéfie. Elle dessine la plaine enneigée, le ciel étoilé, la falaise abrupte, façonne le bruit des vagues, le souffle de l’errance et du naufrage des bourreaux, repousse l’ombre de la bouteille qui rendra son identité à l’homme qui rit. Et le charme opère, à chaque changement de rôle, dans chaque silence, à chacun de ses pas, une nouvelle clarté, un champ du possible. Et c’est dans la chambre des Lords que les convictions de Victor Hugo s’expriment : droit, justice et vérité. Il pensait alors pouvoir détruire la misère. L’homme au rire monstrueux n’a pas fini de se préoccuper de l’avenir.

Bourreaux d’enfants ! chap.1
 
Modeste proposition d’après Jonathan Swift
Mise en scène  François Rancillac
Interprété par David Gabison
Projet et adaptation de David Gabison
Scénographie Jacques Mollon et François Rancillac
Portrait de Swift François Fontaine
Régie générale  Jord Le Dortz

L’homme qui rit d’après le roman de Victor Hugo
Adaptation, mise en scène et interprété par Christine Guênon
Assistée de Laure Guillem
Lumières Dominique Fortin
Régie générale Jord Le Dortz
Remerciements à Ludovic Longelin
Production Cie Chaos vaincu, Théâtre de l’Aquarium

Du 19 au 5 avril à 20h30

Théâtre de l’Aquarium
Cartoucherie
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Réservations : 01.43.74.99.61
1h avant et après les représentations navette gratuite au métro château de Vincennes
www.theatredelaquarium.com

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