Critique de Djalila Dechache
Avec un titre pareil et connaissant le travail de Benoît Lambert, son exigence et son parcours, on craint le pire, on sent l’ironie, on perçoit le sarcasme.
Le spectacle ou plutôt la leçon inaugurale devrait-on dire commence par la lecture d’un extrait de texte de Schopenhauer « Le monde comme volonté et comme représentation » sur l’impossible bonheur de l’homme.
Deux comédiennes, l’une brune, Anne Cuisenier et l’autre blonde, Géraldine Pochon, vêtues en uniforme de gardiennes de musée venues assurer leur permanence, thermos au bras, se tiennent sur deux chaises hautes. Elles vont dresser les causes du malheur de l’humanité sur le ton décalé de la causerie au coin du feu qui n’existe plus, remplacé par un écran de télévision inanimé, figé sur le tableau de Bruegel l’ancien « La chute des anges rebelles ».La légende dit que tout à commencé à ce moment là, lors de la guerre des anges, ceux du bien et ceux du mal.
A partir de ce tableau toute l’histoire de l’homme, animal « pas fini » féroce et agressif, va y passer, du cueilleur-chasseur à l’inventeur du capitalisme, avancée majeure pour garantir la survie de l’espèce.
« Pourquoi ça a raté? »
Pourquoi l’espèce est devenue « le prédateur le plus fou » jusqu’à créer la bombe atomique ?
La réponse de Benoît Lambert est parce que l’homme en se mettant sur ses pattes de quadrupède qu’il fut, s’est mis à avoir un gros cerveau par « l’élargissement du trou occipital, et que cela lui a donné des idées et il s’est mis à imaginer des choses qui ne sont pas là ».Et encore: « Comme il s’est mis debout dans la savane avec son gros cerveau flippé à mort, il s’est mis à avoir peur(…) il s’est mis à faire des armes pour tuer ses congénères qu’il regarde mourir ».
C’est un peu court comme démonstration, qui revient de manière répétitive tout au long de cette heure de spectacle.
Malgré sa science de l’économie et la sociologie, le metteur en scène a sans doute voulu trop simplifier pour en faire quelque chose qui ressemble à une leçon de choses scolaire ex-cathedra.
Tout ce qui est dit est connu de tous, démontré par des ouvrages, les professeurs et les conférenciers, les universitaires et les journalistes, les Prix Nobel d’Economie et autres vulgarisateurs et spécialistes de la question. Et même en brèves de comptoir.
Guerre de gladiateurs, guerre des étoiles, c’est toujours la guerre.
« En terme d’atrocités l’homme est particulièrement créatif, (…) lorsqu’on le compare aux fauves, c’est insultant pour les fauves.» Des scènes de guerre défilent sur le poste de TV, à pied, à cheval, au fusil, au canon, au char d’assaut, par hélicoptère, les guerres se sophistiquent, la mort demeure par la main de l’homme.
Encore des vérités que l’on a maintes fois entendues jusqu’à ce que sur l’écran se forme le circuit simplifié des agents économiques, tiré sans doute d’un cours d’initiation, sur fond de musique de la guerre des étoiles.
Une idée intéressante en fin de parcours, émerge dans cette démonstration. C’est la relation de cause à effet du capitalisme sur notre agressivité ou comment ce système inhibe nos pulsions jusqu’à créer des « dérivatifs symboliques dans la mise à mort de nos concitoyens ».Malgré l’avertissement du début où les conférencières préviennent que « nous on n’est pas là pour comprendre et pour proposer » puis un peu plus tard, toujours avec leur ton décalé, elles en rajoutent en répétant que « pour éviter les atrocités, on n’a pas trouvé mieux que le capitalisme ».
A la toute fin, les comédiennes lisent un extrait de texte tiré de Tocqueville : « C’est ainsi que le capitalisme est (…), un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, agissant par un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes qui ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger». (Démocratie, II 4.6)
Si le capitalisme est le corollaire de la démocratie et inversement, le monde entier doit ainsi se plier à cette direction du monde qui transforme tous les hommes de la planète en méchants animaux féroces désormais sous l’emprise d’une machine qui « rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre ». (Tocqueville).
On ne saisit pas très bien où Benoit Lambert veut en venir en restant sur le flanc obscur des choses et pas ailleurs, uniquement sur un seul côté, ne proposant rien d’autre, et c’est bien dommage. On se sent rapté par la seule vision « nihiliste » du monde puisée chez des auteurs connus et c’est bien le problème.C’est fort dommage que le metteur en scène ne lise ni ne cite Julia Kristeva qui peut dire des choses proches parfois de cette explication en y ajoutant que la plus haute manifestation de la révolte, au sens étymologique du terme, est la création, l’expérience artistique qui donne sens à la vie, qui nous nous sauve et nous éloigne de la barbarie.
Sur un autre plan, il me semble important de noter qu’il régnait au théâtre Paris Villette une ambiance plombée et pour cause, la Mairie de Paris a donné sa décision, le théâtre doit fermer. Les deux spectacles qui ouvrent le mois d’octobre, celui de Benoît Lambert, dont le travail de la compagnie est programmé pour la quatrième fois et d’Isabelle Lafon, sont maintenus à l’affiche grâce à la mobilisation des artistes et à l’équipe du théâtre.
En outre, le théâtre informe le public par la voix de son directeur Patrick Gufflet de la rencontre de soutien programmée samedi 6 octobre à 14h30 , au Théâtre Paris-Villette.
Bienvenue dans l’espèce humaine
Conception et mise en scène : Benoît Lambert
Avec : Anne Cuisenier et Géraldine Pochon
Scénographie et images : Antoine Franchet
Costumes : Violaine L. Chartier
Régie générale : Julien SchaferleeDu 1er au 13 octobre 2012
Lundi, mercredi, samedi 19h30, Mardi, jeudi, vendredi 21h
Relâche le dimanche, Durée : 1 hThéâtre Paris-Villette
211, avenue Jean-Jaurès
75019 Paris
Réservations : 01 40 03 72 23
Métro : Porte de Pantin
http://www.theatre-paris-villette.com
www.theatredelatentative.com