ƒƒƒ Critique Denis Sanglard

©Manuel Toussaint

Ah le beau voyage !

Les Rouchons écrivent aux Brochons. Et réciproquement. De cartes postales expédiées du bout du monde ou de Normandie se devinent toute une vie. Car faire le tour du monde n’est-ce pas faire le tour de sa vie ? Du haut des pyramides qui vous lassent bien vite on songe à Martine pas encore mariée. Et un dîner à Saint Malo vous arrache des larmes amères qui colleront les timbres de la prochaine missive aux Brochon. A l’heure du déjeuner à Rio c’est l’heure de Question pour un Champion dans le pavillon des Rouchon. La traversée du globe c’est aussi une traversée intime qui vous dit qu’au fond on est mieux chez soi car ailleurs ce n’est décidément pas comme à la maison. Brochon ou Rouchon c’est le même regard naïf qui ne voit rien. Qui ne voit que par le petit bout de leur lorgnette le monde à l’aune de leur banlieue pavillonnaire. Les Brochon et Rouchon sont les candides du Guide du Routard, de la brochure touristique.

In Italie il n’y a pas de pizza « Guillaume le Conquérant » …

François Morel écrit là et très finement, comme à son habitude, une chronique épistolaire drôle et cruelle, tendre et vacharde. François Morel est un  chroniqueur du quotidien au regard moqueur et acéré. Ni méchant ni complaisant. Il est au théâtre ce que Sempé ou Chaval sont au dessin. Une même plume ironique et mélancolique, le petit sourire en coin et le regard pétillant. Il les aime ses personnages. La complicité qui le lie à Olivier Saladin donne à cette création une vitalité formidable. Tous deux sont extraordinaires en héros du quotidien à l’assaut du monde, stylo en main. Bien sûr on pense aux Deschiens, inévitablement. Qu’importe. C’est un formidable duo d’acteurs qui s’amuse mais donne à leurs personnages une vérité touchante sans jamais les outrer. Pas de caricature mais une tendresse évidente pour ces deux couples qui traversent leur vie appareils photos en bandoulière et s’inquiètent davantage d’une tache sur un chemisier que de visiter les musées de Florence. On leur pardonne tout. Même leur racisme de bons petits français qui préfèrent donner un peu d’argent aux enfants marocains afin qu’ils restent chez eux. Parce que « malheureusement, on ne peut pas donner à tout le monde ». C’est aussi la force de ces deux là de nous faire avaler, et d’en rire, ce quotidien fait d’ignorance de l’autre. Ils restent étrangers au monde. Bornés. Ce ne sont pas des beaufs mais des personnages décalés, sans doute un peu perdus dans ce vaste monde qu’ils traversent en songeant soudain aux mots fléchés restés sur la table du pavillon. Sans doute la seule chose stable devant le vertige du départ.

La capitale bulgare jumelée avec la Lorraine*

La mise en scène de François Morel est pleine de petites trouvailles poétiques et reste centrée sur le facétieux numéro de duettiste. Jamais ces deux là ne se contentent de rester assis à lire leurs cartes postales, enfermées comme il se doit dans la boite à biscuit. Très vite ils décollent et nous avec. C’est tout un monde qui surgit de leur boite en fer blanc. Du Festival d’Avignon au Bush australien. On rit beaucoup mais ce n’est pas moquerie. C’est un rire franc devant ces situations cocasses où les personnages déplacés, hors d’eux même et de leur quotidien, se révèlent soudain à nous sans qu’eux-mêmes en aient véritablement conscience. C’est cette stupéfiante naïveté et sincérité que nos deux complices jouent avec un bonheur évident et communicatif.

*Parce que Sofia Lorraine

Bien des Choses
Texte et mise en scène de François Morel

Avec François Morel et Olivier Saladin
Et la voix de Jean Rochefort

Du 5 au 30 mars, du mardi au samedi à 21h, matinée le samedi à 18h

La Pépinière Théâtre
7, rue Louis Legrand
75002 Paris

Réservations: 01 42 61 44 16
www.lapepiniere.com/

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