ƒƒƒ critique de Denis Sanglard
©Rodolphe Martin
Mark Tompkins l’enchanteur !
Merveille que cette nouvelle création où Mark Tompkins revisite avec bonheur et pour le nôtre le vaudeville américain. Une traversée du music-hall faite de song-and-danse, numéros de chants, danses, jeux. Sauf que Mark Tompkins est un garçon facétieux. Un rideau pailleté rose fuchsia annonce d’emblée la couleur. Kitsch ! Et sheap ! Cette revue est plus que bancale qui se fait avec trois francs six sous et une table à repasser. L’impression d’un cabaret en bout de course où numéros se suivent, plus ou moins et en toute conscience ratés, et dans le chaos d’une rivalité entre deux artistes. Duo ou duel c’est aussi une fable sur la transmission entre un artiste vieillissant qui ne veut pas décrocher et un jeune loup, formidable Mathieu Grenier, aux dents bien longues. Un humour ravageur et pince sans rire traverse cette création. Mais l’à peu-près demande toujours un immense talent. Et Mark Tompkins ne s’appesantit jamais qui reste toujours dans la citation évitant tout ridicule. Mark Tompkins en inénarrable Momma, la mère de Junior qui ouvre le show, reste Mark Tompkins. C’est une des forces de ce performer de ne jamais céder au travestissement mais de donner simplement des marqueurs. Comme il le fit pour certains de ses bouleversant solos-hommages (à Joséphine Baker ou Valeska Gerst pour exemple).
Ces deux là sont tout simplement formidables dans leur rivalité. Mark Tompkins a trouvé en Mathieu Grenier un alter ego de poids. Leur complicité est épatante, éclatante, et leur duo est tout simplement évident. Il y a quelque chose de mélancolique aussi de voir le premier passer le flambeau au second mais sans renoncer à ce qui fait sa vie. Car ce vaudeville parle aussi de ça, de la vie, de l’amour et du vieillissement. Et de l’illusion aussi. Que Mark Tompkins pulvérise. Il y a un jeu permanent entre scène et coulisses. Un glissement qui voit l’illusion s’effondrer avec les apparitions hilarantes de jean Louis Badet, le scénographe de Mark Tompkins, en technicien de plateau marmoréen prenant largement son temps pour évacuer à vue les pauvres accessoires et maigres décors. Sans compter les apparitions fugaces mais ô combien prégnante de Rodolphe Martin en troisième larron bouche trou. Désillusions également qui voit la vie s’immiscer jusque dans les numéros les plus rôdés s’érodant sous les coups de boutoir de ces deux artistes en compétition. Sous le fard c’est sa peau que l’on joue. A cet égard, et peut être est-ce là la raison du titre de cette création, la scène ou mister T écroulé, exsangue, rampe jusqu’au rideau pour terminer quand même son numéro n’est pas sans rappeler Gena Rowlands ivre morte marchant à quatre pattes pour atteindre sa loge dans Opening Night de Cassavetes. The show must go on !
Mais mélancolie ne veut pas dire nostalgie. Mark Tompkins s’inscrit dans une lignée dynamique. Ainsi mêle-t-il aux classiques du vaudeville ses propres compositions. Et un tube comme Mad about the boy de Noël Coward ne fait aucunement de l’ombre au délicat Be a star. Et entendre ces deux là chanter du Beyoncé inscrit le vaudeville dans un présent vivace et une culture populaire. La subtilité pourtant de ce vaudeville là est que Mark Tompkins en fait un objet performatif. Ou alors plus cruel encore est le constat que la performance aujourd’hui n’est qu’un divertissement de plus. C’est bien plus subtil que cela. Proche de l’entertainment Mark Tompkins depuis longtemps interroge l’histoire de la danse, brasse les genres et montre la porosité nécessaire de tout acte créatif. Il ne s’agit pas de cloisonner mais de jeter des passerelles d‘une rive à l‘autre. Question de survie. L’ironie mordante avec lequel il s’attache au vaudeville n’est pas cynisme. C’est un véritable hommage amoureux d’un showman accompli qui se refuse à séparer les genres. « Let’s go on with the show »*
*1) Be a star, Mathieu Grenier/Mark Tompkins
*2) There’s no business like show business, Irving Berlin
Opening Night a vaudeville
Conception Mark Tompkins en collaboration avec Mathieu Grenier
Avec Mark Tompkins, Mathieu Grenier, Jean-Louis Badet et Rodolphe Martin
Scénographie et costumes: jean Louis Badet
Lumière et régie générale: Rodolphe martin
Collaboration à la mise en scène: Frans PoelstraJusqu’au 29 janvier 2013 à 21h
Théâtre de la Cité Internationale/ festival Faits d’Hiver
17, bd Jourdan – 750014 Paris
RER : Cité universitaire
Réservation : 01 43 13 50 50