Critiques // Critique • « Bal-Trap » de Xavier Durringer, mise en scène Eve Weiss aux Déchargeurs

Critique • « Bal-Trap » de Xavier Durringer, mise en scène Eve Weiss aux Déchargeurs

Nov 18, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Bal-Trap » de Xavier Durringer, mise en scène Eve Weiss aux Déchargeurs

Critique de Ottavia Locchi

Le couple et le temps

Qu’ils changent, les visages, au fil du temps qui a passé. Trois ans d’amour ou d’illusion, trois ans de vie ensemble, de rêves, d’attente, de déceptions aussi. Trois ans après leur rencontre, ce n’est plus « comme avant ». Alors Lulu et Gino retournent sur leurs pas, ils veulent retrouver le frisson de cette première fois où ils se sont cherchés, trouvés, embrassés… ici.
Bulle en a marre des hommes lâches qui la laissent tomber. Il ne viendra plus, son amant. Trois jours qu’elle l’attend… L’amour ? Non merci, plus pour elle ! Elle se lamente. Muso arrive dans ses pattes. Il la trouve belle, il a envie de fumer et d’embrasser ses seins. « Arrêtez de tourner autour de moi, on dirait que vous allez acheter une bagnole ! » lui lance Bulle. Peu importe, il veut bien jouer avec elle, l’écouter, la faire rêver. On ne sait pas bien ce que fait Muso dans cet endroit, mais c’est ici qu’il voit Bulle pour la première fois.
Ici… ce bal endormi aux multiples loupiotes qui veillent sur la nuit ; ce bal abandonné, avec les confettis et serpentins blafards qui sommeillent à côté des bouteilles de bière vide ; ce bal qui rappelle une province lointaine, peut-être une autre époque, peut-être un autre pays ; ce bal qui se transforme en manège, une nuit, pour voir tourner autour de lui ces deux couples qui se cherchent.

© Sophie Anita

Un chassé-croisé, entre la frustration et l’espoir

Loin d’un lamento évoquant un amour perdu, c’est un combat que l’auteur Xavier Durringer impose à ses personnages. L’amour est volage, il se laisse saisir un soir et trois ans plus tard il n’apparaît plus sous sa forme initiale. Le texte est dur, frontal, sec parfois : « Chaque fois qu’on se parle c’est comme si on se crachait un bout de viande dégueulasse » (Gino).
L’auteur confronte Lulu et Bulle, les deux femmes, au dur visage de l’homme qu’elles ont en face d’elles, qui n’est et ne sera jamais exactement celui qu’elles voudraient. Pour Lulu, ce n’est ni avec, ni sans lui. Pour Bulle, il fait tout de travers, ne l’embrasse pas quand il devrait, la laisse dans la voiture… Pourtant toutes deux ont besoin de lui, de l’autre, de celui-là particulièrement, car l’amour et lui sont ligotés et rattachés par la force à cet endroit. Bulle y reviendra, comme Lulu.
Les deux hommes sont lâches, tenaces, grossiers tout en sachant faire preuve d’écoute et de sensibilité ; mais surtout, ils sont là et seront là pour elles, ils feront rimer « amour » avec « toujours » s’il le faut. Car ce sont elles qui leur donnent une identité, leur identité.
Entre les deux entités, un aimant est actif, une sorte de sortilège les lie, que ce soit Lulu et Gino qui tentent de dénouer le lien, ou Bulle et Muso qui ne peuvent plus éviter de désirer de l’autre.

© Sophie Anita

Les deux couples se chassent et se croisent, l’un étant le miroir de l’autre. On peut tout à fait imaginer que Bulle et Muso ne sont que l’imaginaire projeté en arrière de la rencontre entre Lulu et Gino, ou que Lulu et Gino ne représentent que le futur de Bulle et Muso. L’un devrait servir de leçon à l’autre, et pourtant, si rencontre il y a entre deux personnages, les couples s’ignorent alors qu’ils se complètent.

La Compagnie du Pandore et la Compagnie Tête en l’Air s’unissent pour porter à la scène ce fabuleux texte de Xavier Durringer. C’est Eve Weiss qui dirige une mise en scène sobre, autour d’une petite estrade devenant le théâtre des têtes-à-têtes. Les quatre comédiens semblent se fondre dans leurs rôles, mais peut-être quelques représentations en plus les feront fusionner tout à fait. On aimerait moins de distance avec les comédiennes : Durringer les maltraite quelque peu, et cela peut devenir délicieusement réel. On aimerait également avoir l’impression que cela ne fait que trois ans que Lulu et Gino s’aiment, pas dix ou vingt ans…
Un musicien en scène lie la musique à l’amour qui plane au-dessus des têtes. Malheureusement, sa place était vide le soir de la représentation. En espérant qu’il la reprenne vite, car j’ai la nette impression (et cela n’engage que moi), que la présence de la musique adoucira les mœurs et apportera une dimension supplémentaire.

Une belle réalisation par ces deux compagnies aux Déchargeurs, qui permet de se délecter de la langue de Xavier Durringer, celui traite les maux d’amour et les font se refléter en nous mieux que personne.

Bal-Trap
De
: Xavier Durringer (Éd. Théâtrales)
Mise en scène
: Eve Weiss
Avec
: Laurent Collard, Caroline Valmont, Letti Lubies ou Anne de Rocquigny, Christophe Petit ou Ludovic Pinette et le musicien Séverin Dupouy
Lumières
: Stéphanie Chevara
Décors et costumes
: Caroline Mexme

Du 15 novembre au 23 décembre 2011
Du mardi au samedi à 20h

Théâtre les Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs, Paris 1e
Métro Châtelet – Réservations 0892 70 12 28 (0,34€/min)
www.lesdechargeurs.fr

Site de la Cie Tête en l’Air : www.teteenlaircie.fr

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