Critiques // Critique • « Automne et Hiver » de Lars Norén par la Compagnie de l’Arcade au Lucernaire

Critique • « Automne et Hiver » de Lars Norén par la Compagnie de l’Arcade au Lucernaire

Nov 19, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Automne et Hiver » de Lars Norén par la Compagnie de l’Arcade au Lucernaire

Critique de Anne-Marie Watelet

Agnès Renaud et sa Compagnie l’Arcade présentent au Lucernaire « Automne et Hiver », pièce écrite par le suédois Lars Norén en 1987 : radioscopie d’une cellule familiale en temps réel, qui n’est pas sans faire penser à des maîtres comme Strinberg et Ibsen.

Nous prenons place dans une petite salle, et sur le même niveau, juste là à deux mètres, les comédiens nous font face. Monsieur et Madame, la soixantaine, et leurs filles, Anna et Eva âgées de quarante ans environ, réunis pour un dîner dominical. Quoi de plus courant ! Sauf que – courant aussi – les conversations prennent une tournure inquiétante. Le vin aidant, les esprits s’échauffent, on ne se retient plus, et le ton monte, et voilà la mécanique des règlements de compte en roue libre. Il faut dire ! D’abord Anna la rebelle, qui, par sa morgue ironique, tient les joutes ouvertes en cette soirée. Son verbe l’impose comme la plus « visible » parmi les siens dont elle s’acharne à révéler les traits, peu lisibles au contraire chez eux. Sa révolte éclate contre l’imagerie bourgeoise d’une famille heureuse et propre qu’entretient la mère. Eva, elle, s’est glissée dans le moule, et si elle fait la fierté de ses parents, Anna en fait le désespoir. D’ailleurs, Eva a bien réussi sa vie, elle ! Enfin le père, un éternel zéro à gauche, reste sourd à tout appel de la part de « ses » femmes et passe son temps à vider les bouteilles. « Ne peut-on vivre encore vingt ans dans le silence ? » implore le père. Dans sa cruelle solitude, Anna ne désarme pas : son cri pour la vérité fuse mais ne reçoit pas d’écho.

© Corinne Marianne Pontoir

Et de rancunes en frustrations enfouies, toutes les choses tues et inavouées surgissent; le vernis et les petites vérités de la mère se craquellent. C’est la déréliction générale. Car tout sera dit, ce soir-là. Mais rien ne changera. « Ça me rend malade que rien ne soit tiré au clair », gémira encore le père. Non, la communication ne passe pas.

En filigrane, Lars Norén brosse une étude de caractère en même temps qu’il fait un examen des relations humaines familiales. Le genre n’est pas nouveau (on ne peut oublier le film « Festen » de Vinterberg si poignant et dévastateur), mais toujours intéressant.

Un sujet fort, des intentions de jeu sincères… Mais qu’est-ce qui fait qu’on reste au seuil de ce huis-clos ?

D’abord la structure de la pièce. En effet, plutôt qu’une ascension dans les dialogues – anodins au début – vers une tension culminante et finale du huis-clos infernal, entraînant ainsi jusqu’au bout le spectateur, celle-ci est divisée en quatre tableaux (marquée par le pivotement de la table), et à chaque fois, le processus se répète : le calme puis la tempête. Et à chaque fois, le soufflet retombe, il faut juste s’y habituer, d’autant que cela dure deux heures. Ensuite, la proximité du public et des comédiens, baignant dans la même lumière crue, ne favorise pas ici la fusion entre les deux ; paradoxalement, il manque une distance pour y croire.

© Corinne Marianne Pontoir

D’autre part, la mise en scène et la scénographie de facture contemporaine ne s’accordent toujours avec le jeu plutôt classique de Christine Combe, la mère, et Virginie Deville, Eva. Classique parce qu’elles incarnent des bourgeoises, ce qu’elles font très bien d’ailleurs avec leur phrasé presque affecté et un vocabulaire « choisi ». Que de contrastes avec Anna, la révoltée, jouée par Sophie Torresi ! L’ allure déguingandée, l’insolence dans la démarche, la gestuelle et la voix, elle arbore en permanence un sourire du défi et de provoc’. Bien. Mais on se lasse un peu à force… Au contraire, la conduite du jeu de C. Combe est subtile. Elle exprime des émotions et des sentiments divers, en accord avec l’évolution de la soirée, et nous fait même éprouver de la compassion. Côté décor, l’épuré bien sûr ! Seule une table au rôle symbolique : faite de métal avec des pieds tordus, elle inquiète comme un objet de laboratoire (chirurgical ? lit de torture ?) et ajoute à la froideur du plateau nu. Belle idée, efficace, si seulement elle était reliée à quelque chose de concret, et pas uniquement à l’idée de cruauté. Et cet aspect glacial qui contraste avec les dialogues fiévreux, avec la couleur des robes, ne semble pas avoir une raison d’être. Et même, ne nuit-il pas aussi au ressenti des émotions chez le spectateur ?

Reste que l’essentiel nous atteint, avec des questions sous-jacentes : la place que nous tenons, ou pas, dans la famille, la nature et les variations des sentiments entre amour et haine (en dehors de tout cliché!)… Et toujours celle du temps qui passe, suggérée dans le titre. L’automne déjà pour les enfants, l’hiver pour les parents ; le temps qu’aucun regret ne peut réformer.

Automne et Hiver
De
: Lars Norén
Mise en scène
: Agnès Renaud / Cie de l’Arcade
Avec
: Virginie Deville, Christine Combe, Sophie Torresi, et Patrick Larzille
Scénographie
: Michel Gueldry
Lumières
: Véronique Hemberger
Costumes
: Marguerite Danguy des Déserts
Son
: Erwan Quintin

Du 9 novembre 2011 au 7 Janvier 2012
Du mardi au samedi à 21h (relâche les 24 nov. et 22 déc.)

Théatre du Lucernaire
53 rue Notre-Dame des Champs, Paris 6e
Metro Notre-Dame des Champs – Réservations 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

Site de la Compagnie de l’Arcade : www.compagnie-arcade.com

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