Critiques // Critique ・ « Milonga» de Sidi Larbi Cherkaoui, Parc de la Villette

Critique ・ « Milonga» de Sidi Larbi Cherkaoui, Parc de la Villette

Déc 15, 2013 | Aucun commentaire sur Critique ・ « Milonga» de Sidi Larbi Cherkaoui, Parc de la Villette

ƒƒ critique May Lee

 

Sidi Larbi

Fascination et renouveau : un mariage reporté

Ouverture en nostalgie majeure : les images d’un film aux couleurs passées nous plongent au cœur d’une milonga argentine, où des gens simples, des gens de tous les jours, dansent le tango. Puis le rideau s’ouvre sur un couple plus sophistiqué, qui se livre à une sorte de pas de deux où les figures du tango sont esquissées dans une étonnante inversion : ils dansent dos à dos. Entre l’évidente simplicité de l’image initiale et ce couple, quelque chose s’est passé et l’abrazo – l’étreinte en face à face – n’est plus. Puis doucement, l’abrazo se recompose, par le regard d’abord, de loin. Quatre couples entrent en scène, vêtus de noir et de blanc, à l’exception d’une robe rouge, emblème à elle seule de toute la tradition d’un genre. L’aujourd’hui enchâssé dans l’hier… ou l’inverse. Un couple, mais chacun dans son propre cercle de lumière. L’abrazo s’éloigne. Puis revient décuplé : l’image des danseurs est diffractée sur l’écran derrière eux. On croit à une image vidéo reproduisant fidèlement leurs pas en direct, mais lorsque le couple se fige et que le film de leur danse continue, le trouble s’installe. Et grandit encore quand la scène se peuple d’autres danseurs, qui ne sont au départ que des silhouettes de carton mais sur lesquelles sont projetées, comme en hologramme, des figures humaines d’un réalisme saisissant. On passe ainsi au fil des chorégraphies, d’un univers presque anonyme, où hommes et femmes perdent toute singularité en se multipliant sur l’écran, où des silhouettes figées nous renvoient à l’anonymat du bal et à l’universalité de la rencontre, à des scènes typiques du tango : la scène de jalousie, le jeu de séduction « suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis », la dispute passionnelle, la réconciliation. Des projections du Buenos Aires touristique défilent sur écran géant, manipulées à distance par un danseur comme sur l’écran d’un Ipad. La tradition dans la modernité… ou l’inverse. Deux hommes dansent avec le drapeau argentin dans les bras. Des femmes en voilette et lunettes noires, vêtues de robes plus longues pour voiler leur tristesse, déambulent dans le cimetière de la dictature.

Éloigner les codes pour réinventer le genre

Le tango a la peau dure et résiste farouchement aux tentatives de réinvention. Par moment, Cherkaoui atteint cette poésie qui transcende le genre. Allant jusqu’à l’épure de ces gestes hyper-codés, ressassés mille et une fois dans tous les tango shows du monde, il fait émerger un vocabulaire nouveau, délicat et poétique. C’est quand lui-même tourne un peu le dos au genre qu’il nous surprend. Mais il n’a que deux danseurs contemporains dans son spectacle, et ce sont eux qui incarnent ces moments d’invention pure. Le reste du temps, le plateau croule sous des tableaux usés jusqu’à la corde, et même si les danseurs sont remarquables de technicité et le style moins lisse et affecté que dans la plupart des shows qui véhiculent le « genre », les trouvailles chorégraphiques apparaissent comme des îlots dans un océan de déjà-vu. Cette impression composite est encore renforcée par ce solo comique d’une danseuse soit disant mauvaise, on quitte alors très clairement le spectacle chorégraphique pour retomber dans une succession de numéros. On nous montre un peu de tout, alors que nous aurions aimé beaucoup d’une seule chose : le vocabulaire chorégraphique de Cherkaoui, profondément singulier.

Milonga
Sidi Larbi Cherkaoui
Mise en scène Sidi Larbi Cherkaoui
Chorégraphie Sidi Larbi Cherkaoui en collaboration avec les danseurs
Danseurs de tango Sebastian Acosta, Melina Brufman, Cristian Cisneros, Germán Cornejo « Nikito », Martin Epherra, Gisela Galeassi, Esther Garabali, Maricel Giacomini, Claudio Gonzalez, Valentina Villarroel
Danseurs contemporains Silvina Cortés, Damien Fournier
Directeur musical et pianiste Fernando Marzan
Violon Ahram Kim
Guitare Alejandro Sancho
Bandonéon Federico Santisteban
Basse Roberto Santocono
Consultante Tango et directrice de répétition Nelida Rodriguez de Aure
Scénographie et vidéo Eugenio Szwarcer
Compositeurs Fernando Marzan, Szymon Brzóska
Compositeur additionnel Olga Wojciechowska
Création costumes Tim Van Steenbergen
Création lumières Adam Carrée
Création son Gaston Briski
Assistant à la chorégraphie Satoshi Kudo
Assistant à la chorégraphie (tournée) Helder Seabra
Assistants Damien Fournier, Silvina Cortés, Johnny Lloyd
Jusqu’ au 7 décembre 2013 à 20h, le jeudi à 19h30

Parc de la Villette.
http://www.villette.com

 

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