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Critique • « Corbeaux ! Nos fusils sont chargés ! » à la Maison de la culture du Japon

Juin 03, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « Corbeaux ! Nos fusils sont chargés ! » à la Maison de la culture du Japon

ƒƒƒ Critique Dashiell Donello

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© Maiko Miyagawa

« Corbeaux! Nos fusils sont chargés! » est une pièce écrite en 1971 de Kunio Shimizu. Elle relate la violence des luttes contestataires de l’époque.

Un groupe de vieilles femmes, armées de bombes, envahissent le tribunal numéro huit où deux jeunes sont jugés pour un attentat commis lors d’un concert de charité. Déterminées à sauver leurs petits-enfants, elles prennent des hommes de loi en otages et font leur procès…

Une catharsis  d’un autre monde possible

Dans l’exceptionnelle mise en scène de Yukio Ninagawa, ces vieilles révoltées se libèrent d’une société des hommes :

« On a perdu la tête depuis longtemps, la haine nous a rendues folles depuis des centaines, des milliers d’années. Une flûte en os humain et taillée avec des os humains résonne constamment dans notre cœur en poussant des cris déchirants. C’est pour cela qu’on ne peut mourir. On ne peut pas crever tant qu’on ne sait pas qu’est cette flûte. Ce que crie la flûte, est-ce le sang, est-ce le sommeil, ou bien un amour insaisissable… On est des corbeaux noircis par la honte de l’homme. » Kunio Shimizu

Cette flûte est-ce ces années passées dans une jeunesse silencieuse ? Ou bien une pauvre existence, remplie de boue et de misère, encagée dans un mètre carré de conscience ? Ninagawa nous donne à voir le déchirement d’un ressentiment trop longtemps éteint où les éclats d’aphasie forment les lettres d’un cri rebelle, dans l’histoire hypocrite des sociétés du monde. Car c’est bien au-delà du Japon que s’ourdit la tragédie de ceux qui ne peuvent s’exprimer. 

La direction d’acteur de sa compagnie, le Saitama Gold Theater, réunissant 57 comédiens, dont 37 âgés de 62 à 87 ans, est impressionnante de précision et de sens. Nous sommes bouleversés de ce que nous voyons. Les images nous laissent interdits. Nous sommes à la fois horrifiés et fascinés à la vision des noirs corbeaux de la justice, lynchés dans un mimodrame sanglant qui nous fait penser à la scène muette, lorsque Lady Macbeth lave ses mains ensanglantées dans Le Château de l’araignée de Kurosawa[1]. Le point culminant est atteint quand ces vieilles bacchantes vengeresses se muent en de jeunes vestales entretenant le feu de l’espoir. C’est un happening troublant, une catharsis où le voir et l’ouïr viennent d’un autre monde possible. Nous sommes ébranlés par l’émotion. Quelque chose nous a changés. Plus jamais nous n’aurons peur d’être vieux. Le talent que forment ces siècles d’humains devant nous nous donne à voir comme une bribe d’éternité. Ils sont émus, nous aussi. Les larmes unissent nos solitudes. D’où viennent ses pleurs ? Yukio Ninagawa a sa réponse : de la conscience que le théâtre est une toute petite force, face à notre vaste monde. Oui, Monsieur Ninagawa, vous avez raison. Mais vous nous avez fait entendre une petite flûte qui joue, à l’horizon nouveau, une musique pleine de lumière.

« Corbeaux ! Nos fusils sont chargés ! »
Texte : Kunio Shimizu
Mise en scène : Yukio Ninagawa
Pièce interprétée par 37 comédiens du Saitama Gold Theater et 20 comédiens du Saitama Next Theater
 
Jeudi 30 et vendredi 31 mai à 20h, Samedi 1er juin à 15h et 20h
 
Maison de la culture du Japon à Paris
101 bis, quai Branly75015 Paris
Métro : Bir-Hakeim
mcjp.fr

 


[1]Akira Kurosawa, réalisateur japonais (1910-1998)

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