Critiques // Critique • « Anarchie en Bavière » suivi de « Liberté à Brême » de Fassbinder, mise en scène Gwenaël Morin

Critique • « Anarchie en Bavière » suivi de « Liberté à Brême » de Fassbinder, mise en scène Gwenaël Morin

Sep 21, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « Anarchie en Bavière » suivi de « Liberté à Brême » de Fassbinder, mise en scène Gwenaël Morin

ƒƒ critique Suzanne Teïbi

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© DR

La parole au centre de l’action

Avec le cycle Antiteatre, Gwenaël Morin met en scène quatre pièces de Rainer Werner Fassbinder : Anarchie en Bavière, Liberté à Brême, Le village en flammes et Gouttes dans l’océan.

Antiteatre s’ouvre sur le diptyque Anarchie en Bavière et Liberté à Brême dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.

Pour ces deux pièces très différentes, Gwenaël Morin choisit le même dispositif : un plateau brut, dépouillé, pas de décor, très peu d’accessoires, et la parole au centre de l’action, ce qui permet au spectateur d’entendre réellement le texte. À un point tel qu’une comédienne prend en charge exclusivement les didascalies. Ce dispositif déploie une grande liberté de jeu, puisque la parole est là tantôt pour décaler ce qui se joue physiquement au plateau, tantôt pour le compléter. Et l’interstice qu’il y a entre la parole et les corps est l’endroit où le spectateur trouve sa place et son regard. Quand l’action est d’une violence inouïe, le fait de l’entendre plutôt que de la voir jouée restitue au spectateur tout son sens. La comédienne, en lisant les didascalies, nous fait entrer dans un rapport singulier au texte, et nous donne à entendre ce que seul le lecteur peut savoir. Dans le même temps, elle crée une nouvelle dimension de lecture pour les autres comédiens à qui elle donne les indications de jeu. Libre à eux de suivre à la lettre ce qu’elle lit, ou de laisser aux mots le pouvoir de convoquer les détails de la fable. Cet équilibre est passionnant à mesure que l’on entre dans ce dispositif.

Si pour la première pièce Anarchie en Bavière, on peut être gêné par un certain second degré, qui brouille la sincérité du comédien pour la parole par laquelle il est traversé, le rapport texte/jeu se précise pour le spectateur au cours de la pièce, puis avec Liberté à Brême.

L’intime et le politique

« Dans Anarchie en Bavière, il n’est pas question, au premier chef, de structures politiques globales, mais de la façon dont la violence s’immisce dans la sphère privée, au moyen de l’amour et des sentiments : on veutmontrer quel rapport il y a, là, et que ces choses sont liées. Qu’il faudrait essayer de faire la révolution dans la sphère privée et pas d’œuvrer pour je ne sais quels bouleversements à une époque qui n’y est pas du tout favorable. »[1]

Si le politique s’infiltre dans la vie familiale, et jusque dans le couple, dans Anarchie en Bavière, les personnages refusent qu’on leur impose d’être libres. Sans cadre, ils ont la sensation de ne pas pouvoir éprouver collectivement la justice.

Avec Liberté à Brême, c’est le personnage de Geesche qui confronte l’intime au politique. En empoisonnant tous les personnages qui l’entourent, l’un après l’autre, parce qu’ils lui infligent un statut social qu’elle refuse, Geesche pose avec fracas la question de la place de la femme et de son émancipation.

Gwenaël Morin a souhaité que toute l’équipe répète chacune des quatre pièces d’Antiteatre en dix jours seulement, pour garder un état de panique qui lui semblait nécessaire dans sa démarche de confrontation avec l’écriture de Fassbinder. L’état d’alerte dans lequel jouent tous les comédiens est troublant et riche. Cet état d’urgence restitue remarquablement la relation complexe entre intime et politique.

 

Antiteatre
Jusqu’au 13 octobre 2013
Anarchie en Bavière
suivi de Liberté à Brême, les mercredis, jeudis et vendredis à 21h
les dimanches à 15h
Intégrale les samedis à 17h (avec Village en flammes)
D’après Rainer Werner Fassbinder
Mise en scène : Gwenaël Morin
Assistante à la mise et scène et dramaturge : Elsa Rooke
Avec : Renaud Béchet, Mélanie Bourgeois, Virginie Colemyn, Kathleen Dol, Julian Eggerickx, Pierre Germain, François Gorrissen, Barbara Jung, Ulysse Pujo, Natalie Royer, Brahim Tekfa

Théâtre de la Bastille
76, rue de la Roquette – 75011 Paris
Métro Bastille
Réservation : 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com

 


[1]Révolution dans la sphère privée (1969) in Fassbinder par lui-même, entretiens (1969-1982), édition établie par Robert Fischer, G3J éditeur, Paris 2010

 

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