Critiques // Critique • « Soirée Alfred de Musset » à la Comédie-Française

Critique • « Soirée Alfred de Musset » à la Comédie-Française

Mar 21, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Soirée Alfred de Musset » à la Comédie-Française

Critique de Jean-Christophe Carius

“J’étais seul, l’autre soir, au Théâtre Français, Ou presque seul…”

«La Confession d’un enfant du siècle»

«Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée »

«On ne saurait penser à tout»

Octave est un jeune homme romantique, dans le sens que l’on donnait à ce terme au temps où il vécut: le XIXème siècle, et où cela signifiait une tournure d’esprit bien plus intense et radicale que celle qui lui est associée de nos jours. Un romantique considère les sentiments comme l’espace d’accomplissement ultime de l’âme humaine, une véritable voie d’accès à l’infini. Mais Octave se pense atteint, comme toute la génération à laquelle il appartient, de la maladie du siècle. La mélancolie accablante de vivre sa jeunesse dans l’après 1815, où tout ce qui était n’est plus ; tout ce qui sera n’est pas encore.

Désenchanté par la découverte de l’infidélité de sa première maîtresse, les conseils désabusés de ses amis, les sulfures décevants de la débauche et la disparition prématurée de son père, l’année de ses 22 ans, Octave nous confesse sa déroute morale. Retiré à la campagne, il rencontre Brigitte, une jeune veuve aimable dont il ne va s’éprendre que pour mesurer finalement l’ampleur des traumatismes qu’il a accumulés et qui l’ont rendu désormais incapable d’aimer. Submergé par ses poisons intérieurs, il finit par tourmenter exagérément son amante par son intransigeance et ses soupçons déplacés, jusqu’à détruire cette relation d’affection qu’il avait pourtant désiré.

Cette confession d’Octave est le récit transposé des souffrances sentimentales de l’auteur, Alfred de Musset, qui se déchira dans une relation passionnelle et tumultueuse avec George Sand. Il écrivit ce roman autobiographique, version XIXe siècle d’une autofiction inversée, en 1836, à l’âge de 26 ans, un an après la rupture définitive entre les deux écrivains.

Une intime confession et deux proverbes en un acte

Nicolas Lormeau, Comédien-français, a longtemps mûrit l’adaptation théâtrale de La Confession d’un enfant du siècle (1836) et la forme finale à laquelle il est parvenu s’expose dans une sobriété essentielle. Il est seul sur le plateau, habillé simplement de noir, sans décor, sans accessoire hormis une chaise et un chapeau haut de forme, le symbole stylistique de l’époque et de l’esprit romantique. Des jeux de lumières environnants illustrent le fil de son récit et la musique de Bertrand Maillot déploie entre les monologues du personnage, le drapé des non dits de la psychologie du personnage.

Comédien mûr au physique puissant, Nicolas Lormeau n’a pas l’âge ni le physique du rôle, Octave, comme Alfred de Musset, étant encore un jeune homme dandy lorsqu’il se livre à cette confession. Ce décalage dans l’incarnation du récit permet une distance suffisante pour pouvoir observer la description des mouvements psychologiques en s’épargnant une identification échevelée au pathos. Une mise en chair, en os, en voix et en mouvement d’un texte littéraire que Nicolas Lormeau actionne en déployant ses moyens de comédien comme un soliste remplit le volume d’une salle des inflexions mélodiques de son instrument. Il impressionne et imprime dans l’esprit du public les méandres de la pensée et des sentiments de l’auteur, traduisant le double discours de l’œuvre en l’abordant à mi-chemin entre l’incarnation d’Octave et l’incarnation d’Alfred.

La deuxième partie de la soirée est consacrée à la représentation de deux proverbes en un acte, deux comédies courtes, écrites par Musset, des années après la Confession. Toutes deux portent sur la difficulté de l’aveu amoureux, soit par manque de franchise et de décision dans Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée (1845), soit par manque de présence et de concentration dans On ne saurait penser à tout (1848). Présentée dans une forme de semi-lecture par des comédiens en costumes qui gardent le texte à la main et le consulte avant de le jouer, la mise en scène se présente comme une recherche esquissée, une étude légèrement distanciée de la dynamique théâtrale de ces œuvres.
Leurs propos drolatiques et élégants contrastent avec le récit intime et sans concession de la confession, et l’ensemble de la soirée nous offre un panorama de synthèse sur le parcours difficile d’un poète doué de talent, de la révolte juvénile, sauvage et radicale, face au défi d’intégrer les moeurs de ses contemporains, jusqu’à l’expression divertissante de la modélisation des comportements humains dans les décors polis de la mondanité.

Soirée Alfred de Musset

La Confession d’un enfant du siècle

d’Alfred de Musset
Avec : Nicolas Lormeau
Musique originale : Bertrand maillot

Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée

d’Alfred de Musset
Responsable artistique : Cécile Brune
Avec Laurent Natrella et Jennifer Decker

On ne saurait penser à tout

d’Alfred de Musset
Responsable artistique : Cécile Brune
Avec Cécile Brune, ALain Lenglet, Alexandre Pavloff, Laurent Natrella, Jennifer Decker

le 17 mars 2012

Comédie-Française
Théâtre éphémère
Jardins du Palais-Royal
Paris 1er
Métro Palais-Royal

http://www.comedie-francaise.fr

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