Critique Dashiell Donello
© Pascal Victor-ArtComArt-1 jpg
Jeux interdits dans l’apartheid ordinaire
Un petit air de musique pleut des remords sur des arbres sanguinolents. Du crépuscule à l’aube la lumière signe son reflet sur des fruits mûrs pour le trépas. Ils pendent et se balancent au vent ségrégationniste. Ils saignent, goutte à goutte, sur les racines maternelles et la terre qui a vu naitre leurs enfants. Maintenant ce sont des fruits sacrifiés pour les vers et les corbeaux.
Philémon chante nuitamment une balade des pendus sud-africaine dans les townships désenchantés. A travers les fenêtres de carton et les murs de tôle, il entend des voix qui fredonnent des soupirs sensuels. Il voit l’adultère consommé et cloître sa frustration dans un placard. L’amant fuit dénudé délaissant son costume, telle une mue de serpent. Mais la vie doit continuer. Philémon décide de jouer de l’interdit par un châtiment costumé jusqu’à ce que Mathilda en meure.
Can Themba (1924-1967) ne se cache pas lui, dans un placard, pour dénoncer à travers un conte métaphorique « Philémon et Mathilda », l’apartheid d’Afrique du sud. Par la vie ordinaire d’un couple, il dénonce les restrictions raciales et contrarie la censure par une histoire charnelle. Il dénonce avec force et poésie l’oppression blanche. Le mal blanc comme disait Antonin Artaud (1896-1948).
Un théâtre immédiat pour voir l’humanité
Pour Peter Brook le théâtre est un mode vie. Ce qui se joue sur son « espace vide » est un art total. Qui rend visible ce qui ne l’est pas. Qui donne du sens à ce qui peut paraître absurde. Car comme il le dit si bien : « au théâtre « comme si » n’est pas une fonction grammaticale, « comme si » est la vérité ». L’épiphénomène théâtral nous donne à voir la crasse et la beauté non pas comme attributs antinomiques, mais comme deux mesures poétiques qui se complètent. C’est l’immédiateté et la nécessité qui font que « impossible » n’est pas un mot de théâtre. Si l’espace de Peter Brook est vide, c’est pour mieux faire résonner le récit et enraciner dans le présent l’émerveillement de la découverte instantanée. Si la musique habille les mots, c’est pour éveiller notre mémoire sensorielle. Si les comédiens boivent, dansent et fument avec nous, c’est pour nous inviter à la vie. Si la fiction nous emplie d’émotion c’est qu’elle est réelle. L’infiniment petit, chez Peter Brook, grandit dans l’infiniment grand, sous le regard du public. Nul besoin de technologie, de neige carbonique, ni de vidéo, mais d’hommes et de femmes qui le temps d’un chant, d’une musique ou d’une tirade, nous rendent à l’essentiel… l’Humanité.
The Suit, d’après la nouvelle de Can Themba, Mothobi Mutloatse et Barney Simon
Spectacle en anglais, surtitré en français
Durée environ 1h15
Du 3 avril au 5 mai 2012
Adaptation, mise en scène et en musique Peter Brook, Marie Hélène Estienne, Franck Krawczyk
Lumières Philippe Vialatte
Eléments scéniques et costumes Oria Puppo
Assistante à la mise en scène Rikki Henry
Avec Nonhlanhla Kheswa, Jared McNeill, William Nadylam
Musiciens Arthur Astier, Raphaël Chambouvet, David Dupuis
THEATRE DES BOUFFES DU NORD
37 bis boulevard de la Chapelle – 75010 Paris
Métro la Chapelle