Critique d’Anne-Marie Watelet

©DR

«  Le Flamenco ne résout pas la guerre et n’empêchera pas la fin du monde, mais il peut aider à garder la tête haute.  »
Israel Galván

Israel Galván s’est accompagné de la chanteuse virtuose Ines Bacán, le cante jondo gitano-andalou, et de Bobote, maître du rythme dans le compás. Assis à une table de café quelque part, au fond d’un village, ils incarnent tous deux le flamenco populaire traditionnel, celui de leur terre ancestrale (on est loin des robes éclatantes à volants serrant la taille de séduisantes danseuses !).

Israel Galván, talentueux danseur de flamenco, au parcours sans faute, continue de briser les chaines du flamenco, de bouleverser les traditions andalouses pour en extirper le vivant et nous l’offrir en catharsis.

Dans La Curva, Israel Galván enchaine les ruptures de mouvements et de pensées comme les aiguilles d’une boussole. Le flamenco traditionnel, bien que spectacle magnifique se ressent parfois comme un héritage replié sur lui-même. Galván, lui, se sert du Flamenco comme de la farine pour pétrir une pâte ; à cela, il incorpore des situations quotidiennes que nous vivons, que nous habitons, des êtres transfigurés par la beauté de son corps. La guitare laisse place à des accords contemporains. Sylvie Courvoisier est au piano, sur scène ; elle a composé et arrangé l’accompagnement musical de ce spectacle. Déroutés au début par les sonorités isolées et abstraites, genre musique sérielle, nous sommes pris ensuite par le duo rythmique qu’elle forme avec le danseur.

Si l’on ne connait pas l’univers et la liberté de ce grand danseur, le spectacle peut au début paraitre abrupte, car l’idée que nous nous faisons de ce que devrait être le flamenco (chant, danse, guitare), est une idée bien enracinée. Il faut, comme Galván, accepter de se perdre, oublier ce que l’on croit connaitre, délaisser ses certitudes, pour finalement avoir le plaisir exquis d’emprunter des chemins émotionnels jusque-là rarement ressentis à un spectacle de flamenco.

Israel est inclassable. Plus que moderniser la tradition flamenca, il fait sienne et unique la création du rythme – avec la pianiste – et des figures du corps. Empruntant néanmoins à diverses sources, il est tantôt toréador, tantôt danseur de comédie musicale (les claquettes), soudain le Christ en croix, et quelques secondes un insecte ! Tout en nerfs et en muscles, il bondit lestement sur la table pour le ravissement de Popote qui, tête baissée sous son chapeau, imperturbable, tape dans ses mains. Et Inès, à la poitrine généreuse, reprend sa mélodie (mélopée) avec sa voix grave, parfois rugueuse; les sonorités s’attardent dans sa gorge et en sortent en longs vibratos. Si l’on a eu la chance de connaitre ce flamenco-là, l’émotion est grande. La voix des profondeurs, profondeurs douloureuses visibles dans le regard fixe.

Le contraste est surprenant, entre la contemporanéité de la danse/musique, et les chants porteurs du passé. Deux esthétiques éloignées qui procurent, ensemble, des sensations si différentes et si fortes en nous : c’est une création pour le moins réussie, elle exalte et étonne.

On peut au début s’indigner de voir transporté sur une scène théâtrale (qui plus est à l’italienne) ce couple, copie conforme des vieux paysans espagnols d’antan, dont on n’imagine les gestes et la voix que dans leur contexte d’origine. Mais finalement, la beauté du corps dansant, des rythmes, enfin l’ensemble, a raison de nos réticences.

Paris Quartier d’été
Israel Gálvan
La Curva
Idée originale, chorégraphie, direction musicale et danse : Israel Galván
Mise en scène : Txiki Berraondo
Piano et Composition musicale : Sylvie Courvoisier
Chant : Inés Bacán
Compás : Bobote
Conception d’éclairage : Rubén Camacho
Son : Pedro León
Coordination technique et accessoires : Pablo Pujol

Du 25 au 28 juillet 2012 à 21h00

Théâtre de l’Athénée
24, rue de Caumartin – 75009 Paris
www.athenee-theatre.com
www.israelgalvan.com

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